Opéra National de Paris - Bastille
Tristan und Isolde
Seconds rôles en vedette
- Publié par
- 14 novembre 2005
- Critiques
- Opéra & Classique
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La reprise attendue du Tristan und Isolde de Richard Wagner qui avait été au printemps dernier la première grande réussite de la programmation de Gérard Mortier, directeur depuis un an de l’Opéra National de Paris, laisse sur sa faim. Avec une distribution des deux rôles-titres nettement inférieure à celle du mois d’avril, les limites de l’illustration filmée du vidéaste Bill Viola se font parfois durement ressentir. Tout comme la mise en scène et la direction d’acteurs de Peter Sellars qui cette fois qui n’a plus à sa disposition les bêtes de scène qu’étaient l’incandescente Waltraud Meier et Ben Heppner, carrure de bûcheron et sensibilité de pâtre, incontestablement le meilleur heldentenor de notre temps.
Déluge d’allégories en mouvement perpétuel
Le combat inégal qui oppose le compositeur d’images Viola au compositeur de musique Wagner apparaît cette fois dans tout son déséquilibre, le second mettant KO le premier dès le premier round malgré la richesse graphique de son imagination. La splendeur de la musique wagnérienne parle d’elle-même et se passe volontiers du déluge d’allégories en mouvement perpétuel de Viola. Pour s’en convaincre, il suffit de fermer les yeux. Viola est maître de sa caméra vidéo, des effets spéciaux liés aux nouvelles technologies, il peint des paysages sur écran et manipule les illusions. Mais l’opéra est pour lui terra ignoranta. Pour se l’approprier, il montre et démontre ce que la musique laisse à entendre. Inventant, en surcharge, au premier acte, un rituel de purification où un homme et une femme se livrent à une sorte de strip-tease mystique frisant le ridicule, ou pratiquant des pléonasmes visuels : ainsi quand Tristan chante sa flamme, un incendie ravage une forêt sur grand écran...
Ekaterina Gubanova, 26 ans, véritable révélation de la soirée
Pourtant à côté de ces enflures plastiques, il réussit d’étourdissants ballets aquatiques, d’admirables fondus enchaînés en pointillés noirs et blancs et des envolées de lumière qui chavirent l’âme. Il ne faudrait garder que ces passages-là et sauvegarder des espaces vides pour laisser respirer la musique et les chanteurs qui, plaqués sous l’immensité de l’écran, semblent parfois réduits à figurer une sorte de bande-son. Car cette fois, ni l’Isolde de l’Australienne Lisa Gasteen, ni le Tristan de l’Américain Clifton Forbis ne réussissent à tenir tête à l’album animé qui déferle au-dessus de leurs silhouettes. Lisa Gasteen, wagnérienne rompue, a la force vocale du rôle mais pas la beauté, Forbis, aux aigus parfois chancelants, rattrape au dernier la neutralité de son jeu par une belle performance d’acteur. Ce sont les seconds rôles qui tiennent cette fois la vedette, avec un Willard White bouleversant en Roi Marke, présence habitée et timbre de cuivre lissé, Alexander-Marco-Buhrmester, Kurwenal convaincant et une Brangäne défendue avec noblesse et chaleur par Ekaterina Gubanova, jeune mezzo russe de 26 ans, véritable révélation de la soirée.
Valery Gergiev met le feu à la fosse
Le grand enjeu de cette reprise ne réside pas cependant dans ce qui se passe sur scène : le changement annoncé vient de la fosse où le Russe Valery Gergiev succède au Finlandais Esa-Pekka Salonen. Là où celui-ci distillait à froid chaque note du nectar wagnérien, le patron du Mariinski de Saint Pétersbourg y met le feu. Couleurs rutilantes, tempos vif-argent et lyrisme élégant, sans débordement. Les plus pressés y gagnent une vingtaine de minutes, les plus accros à cet opéra « qui rend fou » regretteront les pâles lueurs d’un temps immobile.
Tristan und Isolde de Richard Wagner, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Valery Gergiev, mise en scène Peter Sellars, vidéo Bill Viola, avec Lisa Gasteen, Ekaterina Gubanova, Clifton Forbis, Willard White, Alexander Marco-Buhrmester, Peteris Egletis... Opéra Bastille les 8,12,16,29 novembre, 3 & 6 décembre à 18h30, le 20 novembre à 14h30 - 08 92 89 90 90.
Photo : Eric Mahoudeau / Opéra National de Paris