Théâtre du Châtelet (Paris)

Siegfried et Le Crépuscule des Dieux

Entre fascination et ennui

Siegfried et Le Crépuscule des Dieux

Suite et fin de la Tétralogie de Richard Wagner lancée en octobre 2005 au Théâtre du Châtelet de Paris (voir notre article du 25 octobre 2005). La formule dans les habits de lumière de Robert Wilson reste évidemment la même : abstraction, minimalisme, contre-jours, ombres chinoises, costumes japonisants en géométrie invariable et gestuelle figée dans des poses empruntées pêle-mêle aux bas reliefs égyptiens et au monde des samouraïs. Il ne reste à ceux qui restent insensibles au chic des images qu’à se réhabituer et se laisser aller. Entre ennui et fascination.

Trouver un Siegfried plausible

Le problème de ces deux dernières journées de la saga de L’Anneau des Nibelungen est de trouver un Siegfried plausible. Tant au niveau de la voix que de la présence. Autant chercher un cil égaré dans la barbe du Père Noël. Au Châtelet, on en propose deux pour le prix d’un : un premier pour le rôle titre de Siegfried, un deuxième pour le même personnage dans Le Crépuscule des Dieux Hélas ni l’un ni l’autre ne réussit à se mesurer au héros. Jon Frederic West pour Siegfried a de la voix mais aucune présence, Nikolai Schukoff pour Götterdämmerung a le physique ad hoc mais pas la voix...

L’épée Notung qui rend invincible

Mais qui est-il ce héros sans peur et sans reproche auquel une certaine Allemagne rêvait de s’identifier dans les années 30 et 40 du vingtième siècle ? Résumé rapide de quelques éléments des chapitres précédents : il est né des étreintes incestueuses de Siegmund et Sieglinde, jumeaux issus d’une femme ordinaire et d’un dieu, Wotan, qui les abandonne à leur naissance. Siegmund réussit à arracher au frêne sacré l’épée Notung qui rend invincible, que Wotan y avait fichée. Courses-poursuite.

Wotan traque les amants en fuite, brise l’épée et fait assassiner Siegmund par l’époux jaloux de Sieglinde. Avant de mourir à son tour, celle-ci s’enfuit avec son enfant. Brünnhilde, la Walkyrie préférée de Wotan, sauve le marmot contre l’avis du dieu et le façonne pour en faire un être d’exception. Mal lui en prend : Wotan la déchoit de sa qualité de guerrière céleste, la condamne à l’exil sur un rocher entouré de flammes. Seul un héros capable de les franchir la sortira du sortilège et en fera une femme.

Une histoire qui ne demande qu’à être racontée

Bébé Siegfried est élevé par Mime, frère d’Alberich, le voleur de l’or du Rhin, subtilisé par le géant Fafner et gardé par un dragon. Mime a eu vent des pouvoirs du gamin et ne s’occupe de lui que dans le but de récupérer le magot et l’anneau qui doit rendre son possesseur maître du monde.
Siegfried est donc tout simplement un petit garçon qui n’a peur de rien mais qui rêve de se faire peur, comme tous les petits garçons. A part ça il est vierge de toute connaissance, jeune adulte resté aussi naïf qu’au jour de son premier vagissement. Dans un monde plus réel, il passerait pour l’idiot du village.

Dans celui des Eddas de la saga scandinave adopté et adapté par Wagner, il va suivre son destin, tuer le dragon, s’approprier l’anneau et le heaume magique qui rend invisible, tuer Mime dont un oiseau lui a confié les intentions et libérer Brünnhilde sur son rocher... C’est un conte, une fable, une histoire qui ne demande qu’à être racontée. Wilson se fiche pas mal de l’anecdote. Il met en allégories abstraites des états d’âme et, en gestes saccadés, les instants musicaux.

Parfois ça tombe bien (les scènes de la forêt du deuxième acte avec les interventions du réjouissant dragon à tête de robot), parfois c’est en totale contradiction avec la situation, le texte et la musique. Le troisième acte de Siegfried s’en trouve carrément torpillé : une pierre tombale posée en diagonale fait office de rocher, l’espace est vide, les lumières polaires.

Alors que les amants découvrent la puissance et l’érotisme de l’amour et qu’ils se le clament à pleine bouche - « tes flammes brûlent dans ma peau, fais en taire l’ardeur écumante » ; « je suis tienne, mon regard te dévore, mon bras te serre... » - Wilson les fige dans des poses amidonnées se tournant le dos à chaque bout de la scène. Résultat, Siegfried, troisième journée de la Tétralogie s’achève lestée du plomb d’un poison mortel : l’ennui.

Voici enfin Le Crépuscule des Dieux, six heures et trente minutes de spectacle (entractes compris), un marathon où, par chance, à l’exception du prologue, il se passe plein de choses. Siegfried en selle pour de nouveaux exploits, sa rencontre avec Gunther, Gutrune et le perfide Hagen qui lui fait boire un philtre d’oubli, son mariage manipulé avec Gutrune et celui forcé de Brünnhilde avec Gunther... Les jeux de dupe et de magie, l’anneau qui passe de main en main, le dépit de Brünnhilde qui dévoile le point faible du héros, la mémoire qui lui revient, sa mort martelée par cette marche célèbre (que Wilson accompagne d’images superbes), puis la mort de son aimée dans les flammes qui dévorent le Walhalla alors que les filles du Rhin enfin récupèrent leur bien.

Réunir un casting à l’échelle

Le système Wilson se poursuit avec les plus beaux éclairages qu’on puisse rêver mais la question persiste : cela suffit-il ? Avec une distribution idéale et un orchestre moulé dans le wagnérisme comme dans un gant, l’ensemble pourrait se contenter de flatter le regard. On en est loin. Parce que tout simplement il est aujourd’hui quasi impossible de réunir un casting à l’échelle. Qui pourrait de fait ces jours-ci rendre crédible le personnage de Siegfried qui doit tenir le devant de la scène des heures durant et couler dans sa voix autant de force que de lumière ? Jon Frederic West, premier Siegfried, a du coffre et du souffle mais pas une once de charme. Sa lourde silhouette refuse de se plier aux chorégraphies wilsonniennes. Visiblement il s’ennuie ferme. Nikolaï Schukoff qui lui succède dans Le Crépuscule arbore en revanche un physique qui se prête parfaitement à la gestuelle distante de Wilson. Mais la voix est blanche, la respiration courte. C’est un mozartien, un belcantiste. Fatale erreur de distribution.

Linda Watson reste de bout en bout une Brünnhilde sans réelle envergure mais qui réserve de beaux moments. Le Wotan de Jukka Rasilainen avait déçu dans L’Or du Rhin mais s’était affirmé dans La Walkyrie. En Wanderer, il maintient le cap malgré un timbre trop métallique et une diction approximative.
Le plaisir vient de l’Erda crépusculaire de Qiu Lin Zhang, originaire de Toulouse comme son nom ne l’indique pas, de la Waltraut diaphane de Mihoko Fujimura et des méchants : le Mime athlétique et apeuré de Volker Vogel, l’Alberich gangster de Sergei Leiferkus et surtout de la basse Kurt Rydl, tour à tour Fafner et Hagen, insurpassable dans ces deux rôles.
Christoph Eschenbach tire de l’Orchestre de Paris des sonorités qui réveilleraient un mort. De la violence plutôt que des nuances : le chef allemand qui dirige depuis six ans l’Orchestre de Paris semble parfois embarrassé de cette première confrontation avec un opéra de Wagner. Quelques beaux moments restent à entendre comme celui des Murmures de la Forêt dans Siegfried, et surtout le son en solo du corniste André Cazalet qui accompagne le heldentenor comme son ombre.

Siegfried et Le Crépuscule des Dieux de Richard Wagner, orchestre de Paris, direction Christoph Eschenbach, mise en scène, scénographie et lumières Robert Wilson, costumes Frida Parmeggiani, avec Jon Frederic West et Nikolai Schukoff dans le rôle de Siegfried, Kurt Rydl dans les rôles de Fafner et Hagen, Volker Vogel, Jukka Rasilainen, Sergei Leiferkus, Linda Watson, Christine Goerke, Qiu Lin Zhang, Mihoko Fujimura - Théâtre du Châtelet à Paris. Siegfried : les 26 &31 janvier, 8 février, 3 & 12 avril à 18h, le 5 février à 15h ; Le Crépuscule des Dieux : les 28 janvier, 2 & 15 février, 6 & 15 avril à 17h30, le 12 février à 15h. 01 40 28 28 40.

Crédit photo : M.N. Robert

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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