Valenciennes en simultané avec Mons, Düsseldorf, Stornoway, Hallastadt

Saint Kilda, l’île des hommes oiseaux - Opéra ubiquiste

Requiem en 5D pour un monde disparu

Saint Kilda, l'île des hommes oiseaux - Opéra ubiquiste

Une même musique, un même livret, une même idée mais cinq conceptions différentes : le premier opéra ubiquiste de l’histoire du répertoire lyrique vient de naître simultanément dans cinq pays : en France, en Allemagne, en Autriche, en Belgique et en Ecosse. Du jamais vu, jamais entendu, alliant satellite et nouvelles technologies à l’une des plus vieilles histoires de l’humanité, le destin des habitants d’un îlot de rochers perdu au nord du nord de l’Ecosse et des Hébrides.

Ce pourrait être la question à 1000 € d’un jeu radiophonique ou le thème d’un quiz de l’été : « Qui étaient les hommes-oiseaux de Saint Kilda ? ». Lew Bogdan, directeur du Phénix de Valenciennes, l’une des principales « scènes nationales » de l’Hexagone, s’est posé la question en lisant, il y a cinq ans, un article dans le Courrier International. Découvrant leur histoire qui est celle d’une civilisation engloutie, l’envie le démangea de la faire connaître au monde. A défaut de pouvoir lui donner un rayonnement planétaire, il opta pour une diffusion européenne rassemblant cinq villes et un bout d’île de cette île du bout du monde. Ainsi naquit Kilda, l’Ile des Hommes-Oiseaux, qui fut créé simultanément les 22 et 23 juin derniers dans cinq théâtres différents, à Valenciennes, Düsseldorf, Hallastadt, Mons et Stornoway.

Le don d’ubiquité

Quand on est journaliste et chroniqueur de la vie musicale et théâtrale, on aimerait assurément être doté du même don d’ubiquité pour assister en même temps à ce quintet d’un type inédit, avec orchestre, chœur, ballet comédiens et chanteurs. Les deux dates et le court espace transfrontalier séparant Valenciennes, l’initiatrice du projet et Mons en Belgique, son principal partenaire artistique, ont permis d’avoir l’œil et l’oreille sur leurs deux productions.

Elles ont en commun, comme les autres, les musiques spécialement composées par l’anglais David Graham, pour le 1er acte, et par le belge Jean Paul Dessy pour les deux suivants, ainsi que le texte de Ian Finlay MACLEOD, poète et dramaturge natif des Hébrides et la présence sur scène d’une chanteuse gaélique. Ainsi qu’un compte à rebours orchestré depuis Saint Kilda où une équipe de cinéastes filmait en direct des paysages entre chien et loup et quelques ultimes visiteurs.

Alyth McCormack, elfe aux pieds nus

Au Manège de Mons, Thierry Poquet, metteur en scène et dramaturge a misé sur une sorte d’aller-retour présent/passé, avec un tout jeune homme sprinter, visiteur pressé de remonter l’horloge du temps et Alyth McCormack, la chanteuse, elfe aux pieds nus qui danse et égrène d’une voix légère ses complaintes gaéliques. Des danseurs acrobates se transforment en alpinistes du vide. Sur les écrans défilent les images de varappeurs encordés remontant les parois du rocher de l’île et d’un témoin à barbe rousse disant sa nostalgie. Côté cour les musiciens de Musiques Nouvelles la formation de Jean-Paul Dessy racontent à leur manière l’incroyable destin de ces hommes, de ces femmes qui vécurent des siècles durant avec pour seuls interlocuteurs les oiseaux, les fous de Bassan, les mouettes, les albatros et les fulmars qui leur procuraient l’huile de leurs lampes, la viande de leur nourriture et les plumes de leur commerce.

Les effluves d’une civilisation qui allait ruiner la leur

Ils parlaient une langue de peu de mots et ne connaissaient que ceux dont ils avaient la stricte utilité. Ils ignoraient le « je » car ils ne s’exprimaient qu’ensemble, rien ne désignait les arbres, il n’y en avait pas sur leur île, et le concept du miroir leur était inconnu car le vent ridait à ce point les surfaces d’eau qu’ils ne pouvaient s’y mirer…Leur existence bascula quand au 18ème siècle les premiers navigateurs les découvrirent. Missionnaires, négociants, militaires, colons leur apportèrent peu à peu les effluves d’une civilisation qui allait peu à peu ruiner la leur. Ils résistèrent jusqu’au mois d’août 1930 où, en raison de leur dénuement, le gouvernement britannique déporta les derniers survivants en terre ferme. Depuis, hormis les oiseaux, seul le vent reste résident des rochers de Kilda.

Jouées en créations mondiales dans les cinq lieux, les musiques de David Graham et Jean-Paul Dessy tentent de redonner vie à ces ombres en racontant la sauvagerie de la nature, la beauté des oiseaux, les tourments du ciel. Mêlant tradition, folklore, stridences atonales, sur cinq instruments, l’accordéon, le trombone, le piano, les percussions et surtout le violoncelle, âpre et lancinant, auquel le violoncelliste virtuose qu’est Jean Dessy attribua un rôle tout particulier. A Mons, Sigrid Vandenbogaerde en exécuta le solo final, la tête dans les nuages et l’archet au cœur. Requiem pour un monde défunt.

Des camaïeux d’eau forte

A Valenciennes, l’ensemble Ars Nova dirigé par Philippe Nahon plus classiquement réparti dans la fosse, en donna une lecture aussi convaincante, avec en prime, quelques broderies sonores dans les percussions. En noir et blanc : la mise en scène de Tatiana Stepantchenko joue essentiellement sur les contrastes. La nuit, le jour, les ombres, les lumières, des camaïeux d’eaux fortes jusque dans les costumes des choristes, et ceux des acteurs inspirés des photos prises dans les années 30 au titre de zoo humain. Deux hommes, deux femmes commentent leur destinée en confidence avec le public. Sur les écrans, en direct et en différé, les séquences projetées s’habillent elles aussi de noir et blanc. Les danseurs acrobates de la compagnie Retouramont jouent les oiseaux, stupéfiants de grâce, planant, voltigeant, piquant leurs becs dans d’imaginaires flots, déployant leurs ailes, se battant contre la gente humaine venue les chasser. Le passé s’était fait beauté, l’émotion se glissait à fleur de peau. Et, pour souligner en clin d’œil les prouesses technologiques du numérique sur les écrans latéraux, s’imprimaient ici et là les images prises en direct dans le théâtre Kontra-Punkt de Düsseldorf…

Une page d’histoire et de mémoire de la pointe nord de l’Europe

Trois cent vingt personnes, artistes et techniciens, se sont trouvés à l’ouvrage, sur les plateaux, dans les coulisses au même moment dans les cinq lieux. Le budget total de l’opération a avoisiné les deux millions d’euros répartis entre les partenaires sur la base de subventions locales et européennes. Sollicitée, la chaîne franco-allemande ARTE n’a pas jugé l’entreprise digne d’intérêt… Page d’histoire et de mémoire de la pointe nord de l’Europe, hommage vivant et vibrant à un monde disparu : Si un tel événement aussi exceptionnel qu’unique, et à 100% européen, ne trouve pas d’écho chez elle, on peut se demander à quoi elle sert…

Crédit photos : Didier Crasnault

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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