Paris - Opéra Comique - jusqu’au 5 mai 2008
Romeo et Juliette de Pascal Dusapin
Fantaisies révolutionnaires autour d’un mythe littéraire
- Publié par
- 4 mai 2008
- Critiques
- Opéra & Classique
- 0
Pascal Dusapin est dans l’air du temps. après la reprise récente de sa Médea au Théâtre de Gennevilliers (voir webthea du 23 mars 2008) et en attendant sa Passion inscrite au démarrage du prochain Festival d’Aix en Provence, voici pour la première fois a Paris le remake de Roméo et Juliette, son tout premier opéra
La cinquantaine juvénile, le cheveu tombant sur les épaules, le nancéen Dusapin est incontestablement l’un des plus prolifiques compositeurs de notre temps, mettant sa verve et son imagination au service de pièces les plus diverses, musiques symphoniques, musiques de chambre et opéras. Le premier d’entre eux est né il y a presque vingt ans d’une commande à l’occasion du bicentenaire de la révolution française. Ce Roméo et Juliette d’un type inédit, créé à Montpellier en juillet 1989, n’avait jamais été présenté sur une scène parisienne. C’est chose faite enfin grâce à l’Opéra Comique, et, pour ceux qui suivent le parcours musical de son auteur, la redécouverte de ce premier opus lyrique est riche de saveurs.
Des textes imagés, denses et dansés
Le titre est trompeur. Toute référence à l’œuvre phare de Shakespeare tourne court même si chez Dusapin des couples amoureux - il y en deux -portent les mêmes prénoms et s’expriment parfois en anglais et que, pour créer une sorte de lien virtuel, un commentateur narrateur se fait appeler Bill – comme ce bon William de Stratford on Avon. Malgré un balcon reconstitué à l’intérieur d’un saule pleureur, ces amoureux-ci ne sont pas ceux de Vérone. Ils se chamaillent, ils se tapent dessus même, ils revendiquent… Juliette surtout en veut à la vie, à la liberté de penser et d’aimer… La liberté de dire… Dire les mots et les phrases d’Olivier Cadiot, romancier, auteur dramatique et surtout poète, familier de Dusapin avec lequel il signa plusieurs pièces. Des textes imagés, lyriques, denses et dansés qui bataillent pour se tailler une part égale avec la musique. Sans y parvenir : non seulement parce qu’ils sont souvent inaudibles et qu’en l’absence voulue de sur-titrages, ils se perdent dans une masse sonore d’une ébouriffante virtuosité.
Un somptueux devoir de premier de classe surdoué et rebelle
La révolution de Dusapin est celle qu’il croit alors - péché de jeunesse ? - faire subir à l’opéra. Déconstruire la chose, la mettre à nu, la tête en bas, la redessiner à la manière d’une BD sonore, passer du concret à l’abstrait, le gonfler de bulles irisées où les couleurs de Debussy se frottent à des annotations baroques, éclatent en polyphonies tantôt rageuses, tantôt mélancoliques, se parent de grâce mozartienne, en appellent aux techniques de spatialisation, se réfugient dans le silence instrumental pour que les chants s’échappent a capella, … Bref Dusapin engloutit dans ce premier opéra tout son savoir faire. C’est à la fois brillant et touchant, un somptueux devoir de premier de classe, surdoué et rebelle.
Rouges bonnets phrygiens et rouges casquettes de prolétaires
La réalisation qu’en propose le metteur en scène Ludovic Lagarde est à l’image de la musique et du texte, poétique, mystérieuse, inventive : dans les branchages feuillus d’un saule pleureur tombant des cintres que balaient les superbes éclairages de Sébastien Michaud, les actions se concentrent et s’échappent, le narrateur bat la mesure et discourt à la manière d’un prof de faculté fatigué, les choristes apparaissent puis disparaissent derrière deux travées circulaires, ne laissant voir que leurs rouges bonnets phrygiens et leurs non moins rouges casquettes de prolétaires maoïstes… Les costumes de Christian Lacroix ont cet humour-là, entre l’élégance élisabéthaine des amoureux et les costumes sans âge d’un âge plus proche de nous.
Karen Vourc’h, Juliette délurée, éprise et revendicatrice
Alain Altinoglu insuffle de la dynamite à l’Orchestre de Paris, les chœurs de Laurence Equilbey ont de l’humour à fleur de voix et les amoureux sont jeunes et beaux. Jean-Sébastien Bou campe un Roméo ombrageux, la délicieuse Karen Vourc’h une Juliette délurée, éprise, revendicatrice. Le comédien Laurent Poitrenaux fait de Bill un conférencier au parler précieux et le clarinettiste Philippe Berrod décline en virtuose toutes les tessitures de son instrument.
Roméo et Juliette de Pascal Dusapin, livret de Olivier Cadiot. Orchestre de Paris, direction Alain Altinoglu, chœurs sous la direction de Laurence Equilbey, mise en scène Ludovic Lagarde, scénographie Ludovic Lagarde et Antoine Vasseur, lumières Sébastien Michaud. Avec Jean-Sébastien Bou, Karen Vourc’h, Marc Mauillon, Amaya Dominguez, Laurent Poitrenaux, le quatuor vocal de Caroline Chassany, Caroline Rio, Jean-Paul Bonnevalle, Paul Alexandre Dubois et Philippe Berrod, clarinette solo.
Opéra Comique, les 28 & 29 avril, 2 & 5 mai à 20h – 08 25 01 01 23
Crédit photos : Elizabeth Carcchio