Théâtre du Châtelet (Paris)
Pollicino
Une leçon de bonheur
- Publié par
- 28 avril 2005
- Critiques
- Opéra & Classique
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Un opéra pour enfants inspiré de l’une des plus jolies fables d’hier sur une musique résolument d’aujourd’hui, c’est le pari réussi de Pollicino, "favola per musica" de Hans Werner Henze, d’après Charles Perrault, Grimm et Collodi. Un Petit Poucet semeur de cailloux blancs, conforme à sa légende, sachant retrouver le chemin de sa maison et rouler dans la farine l’ogre qui veut en faire son plat de résistance. Mais au cynisme de l’original où l’ogre, par un jeu d’échange de bonnets de nuit, dévore ses filles à la place de la fratrie du Poucet, se substitue un happy-end doublé d’une romance d’amour. Pollicino libère les gamines réduites par leur père à l’état de pantins et s’éprend de Clotilde, la ravissante cadette. Premier émoi, premier baiser. La poésie couleur pastel succède ainsi à l’effroi et à l’humour vache : quand l’ogre berné n’arrive plus à brancher son ordinateur et que via son portable il fait appel au syndicat des ogres pour réclamer davantage d’injustice sociale - 75 heures payées 35 ! - c’est le public adulte qui trouve son compte de plaisir dans la boîte à malices. De même, quand le même ogre, bossu et boiteux, esquisse un pas de danse sur un bout d’air de Rigoletto, le clin d’œil chatouille l’oreille des habitués de Verdi.
Une trentaine de mômes rivalisant de grâce et d’aplomb
Mais la farce musicale se limite à ce très court instant, tout le reste étant d’une qualité, d’une inventivité qui stupéfie et enchante. Pour les mélomanes en herbe, la cadence des percussions, les "schlager" - rengaines à retenir et à fredonner - égrènent leur leitmotiv comme autant de cailloux à repérer. On pense à Kurt Weill, à Hanns Eisler, tandis que les interludes font entendre la mélancolie, le rêve et la révolte, avec une écriture fouillée où les harmonies traditionnelles côtoient les outils du sérialisme cher à Henze. Dans les décors et costumes du magicien Yannis Kokkos qui connaît bien ce répertoire, Guy Coutance a mis en scène avec tact, doigté, enthousiasme et infinie pédagogie la trentaine de mômes qui se partagent les rôles des frères, des sœurs et des animaux fantastiques de la forêt et qui rivalisent de grâce et d’aplomb, et Claire Gibault, du bout de ses doigts de fée, les a entraînés en musique, donnant aux jeunes solistes - Anton Barsoff/Pollicino et Malory Matignon/Clotilde - la latitude de chanter clair, juste et avec cœur.
Des adultes à la dégaine de dessin animé
Les grands, les adultes - René Shirrer et Doris Lamprecht, inénarrables ogre et ogresse, Aurélia Legay, Erich Huchet, Frédéric Albou, papa, maman et le loup - entrent dans la danse avec des dégaines de dessin animé et chantent avec une parfaite maîtrise de cette musique-là. Tout comme la vingtaine de choristes du Chœur d’Enfants Sotto Voce reprenant les ensembles tantôt en langue italienne originale soit dans le texte français adapté par la même, dynamique, infatigable députée européenne Claire Gibault. De penser qu’un tel joyau n’ait connu que trois représentations parisiennes est un crève-cœur tant on a envie d’y envoyer tous ceux et celles que l’on aime quel que soit leur âge. Une aussi belle leçon de bonheur est rare.
Pollicino de Hans Werner Henze, livret de Giuseppe di Leva d’après Collodi, Grimm et Perrault, adaptation française et direction musicale Claire Gibault, mise en scène Guy Coutance, décors et costumes Yannis Kokkos, avec le chœur d’enfants Sotto Voce et dans les rôles solistes, Guillaume Lillo ou Anton Barsoll (Pollicino en alternance), Charlotte Marchand ou Malory Matignon (Clotilde en alternance), Eric Huchet, Aurelia Lagay, René Schirrer, Doris Lamprecht, Frédéric Albou. Théâtre du Châtelet (Paris), les 19, 20, 22 & 24 avril 2005.
Photo : M.N. Robert