Toulouse – Théâtre du Capitole

Polieukt de Zygmunt Krauze

Un Corneille au goût de Varsovie

Polieukt de Zygmunt Krauze

Corneille à l’opéra, ce n’est pas nouveau. Son Cid inspira une pléiade de compositeurs dont Massenet reste le plus connu. Mais Corneille en polonais, c’est du jamais vu ni entendu. La singulière métamorphose vient d’être révélée au Capitole de Toulouse qui accueillait Polieukt de Zygmunt Krauze, une production de l’Opéra de chambre de Varsovie créée il y a tout juste un an dans une mise en scène de Jorge Lavelli. Une drôle d’aventure, un superbe spectacle que Frédéric Chambert, le directeur de la maison d’opéra toulousaine, découvrit sur place et qu’il s’empressa, subjugué, d’inscrire à son programme.

Edmund Krauze son compositeur connaît bien le sujet. En 1987, à la demande du metteur en scène Jorge Lavelli il composa une musique de scène pour accompagner une nouvelle production de la tragédie du chrétien martyr Polyeucte dont Corneille puisa le sujet dans l’histoire vraie de l’Arménie. La carrière de Krauze, né en 1938 en Pologne, le mena de Berlin à Stockholm, en passant par Bâle et l’université de Yale, avec un ancrage fructueux à Paris où il fut notamment pour Pierre Boulez, le directeur artistique de l’IRCAM. C’est dire que toutes les formes des musiques d’aujourd’hui lui sont familières, tout comme celles héritées des traditions classiques ou romantiques. Auxquelles il aime mêler les sons des folklores populaires. Il cultive pour le théâtre un intérêt majeur et pour lui composa plusieurs musiques de scène pour le Théâtre de la Colline à Paris quand Lavelli en fut le directeur. Et c’est encore avec lui qu’il engendra Star l’un des cinq opéras de son répertoire. Leur amitié devait sans doute fatalement aboutir à un nouveau projet : ce Polyeucte/Polieukt, commande de l’Opéra de chambre de Varsovie, dont Lavelli conçut le livret et la dramaturgie.

Des relents sacrilèges difficiles à gérer

Ils optèrent pour la langue polonaise de façon, disent-ils, à pouvoir utiliser un langage d’aujourd’hui, un verbe ordinaire. Chose qui eut été impossible avec les alexandrins cornéliens que même Barbier et Carré les librettistes de Charles Gounod n’osèrent trahir complètement pour ce même Polyeucte créé en 1878 et qui depuis reste dans l’ombre des Faust et Mireille et autre Roméo et Juliette. Dès 1840 Donizetti connut le même désenchantement avec un Poliuto qui ne connut guère de postérité. Même si Corneille y intègre le vers célèbre (coquin ?) – « Et le désir s’accroit quand l’effet se recule » - le dilemme religieux du sujet reste délicat : l’histoire de ce seigneur d’Arménie converti au christianisme sur la foi de son meilleur ami Néarque qui brusquement s’insurge contre les idoles païennes importées de Rome a des relents sacrilèges difficiles à gérer. Polyeucte et Néarque détruisent les idoles à mains nues et sont condamnés à mort. Néarque est exécuté mais Polyeucte est l’époux de Pauline, la fille de Félix, le sénateur romain qui dirige la région et celui-ci va essayer de le raisonner pour qu’il renonce à sa nouvelle croyance. En vain. Polyeucte sera sacré martyre de la chrétienté.

L’espoir d’un monde de liberté

Lavelli lit Corneille à la loupe, il concentre les actions, respecte l’unité de temps mais ouvre celui des lieux (le baptême de Polyeucte, la profanation du temple se passent en direct), il débusque des intentions sous-jacentes : la condamnation du fanatisme, l’appel à la tolérance incarné par Sévère, le héros romain, vainqueur des Perses et autrefois favori de Pauline dont il est resté amoureux. Des sentiments sont poussés à l’extrême, Polyeucte et Néarque sont plus simplement amis, ils sont amants. La tragédie ne s’achève plus sur le deuil mais, via Sévère, sur l’espoir d’un monde de liberté et de respect de la pensée d’autrui.

Zygmunt Krauze a abandonné les sonorités et les instruments autrefois utilisés pour la Comédie Française, les conques et autre oud arabe mais reste cependant attaché au fait théâtral.. Son Polieukt s’écoute comme du théâtre en musique. Des percussions - marimba, grosse caisse, tam-tam - des bois, des cuivres, des cordes souveraines qui font battre les pouls et même d’un accordéon, jaillissent des sons qui habillent les situations, épousent les élans intimes. On pense à Kurt Weill mais aussi à Debussy. Quelques rares échappées rompent avec le parti-pris de tonalité de l’ensemble, notamment dans l’impressionnant solo de Polyeucte emprisonné au démarrage du 4ème acte. Krauze en fait un contre ténor. « Pour qu’il soit différent des autres » dit-il. Peut-être aussi pour lui conférer la part de féminité qui dans cette version revisitée l’unit à Néarque.

Du blanc, du noir, deux taches rouges, la robe de Pauline, la veste de Félix son père, des escaliers, des miroirs qui dédoublent les images, des fumées, des jeux d’ombres. Le coup d’œil est superbe, les lumières sont imprégnées de poésie. La direction d’acteurs est, elle aussi, celle d’un homme de théâtre. Les solistes de l’Opéra de chambre de Varsovie jouent comme des acteurs, ils sont polonais bien évidemment, on ne comprend pas ce qu’ils chantent mais leur diction semble claire. Les voix sont belles, bien adaptées à leurs personnages. Le jeune contre ténor Jan Jakub Monowid crée un étonnant Polieukt, une figure fragile au jeu d’ado égaré, un timbre clair et des aigus qui montent aux cimes des cris, la soprano Marta Wylomanska convainc et émeut en Pauline déchirée entre deux hommes et deux croyances, le baryton basse Artur Janda campe un Sévère de belle noblesse. Sous la direction attentive du chef polonais Ruben Silva l’orchestre Sinfonietta de Varsovie s’investit en grâce et ferveur.

Trois représentations pour une si belle découverte, c’est trop peu. On lui souhaite de refleurir rapidement sur d’autres scènes.

Polieukt de Zygmunt Krauze, livret de Jorge Lavelli et Alicia Choinska d’après Polyeucte de Corneille, orchestre Sinfonietta de Varsovie, solistes de l’Opéra de Chambre de Varsovie, direction Ruben Silva, mise en scène et lumières Jorge Lavelli, décors et costumes Marlena Skoneczko. Avec Jan Jakub Monowid, Marta Wylomanska, Artur Janda, Andrzej Klimczak, Dorota Lachowicz, Darius Gorski, Mateusz Zajdel. Production de l’opéra de Chambre de Varsovie.

Toulouse – Théâtre du Capitole – les 4, 5 & 6 novembre 2011 – www.theatre-du-capitole.fr

Photos : J. Budzynski

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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