Paris - Théâtre du Châtelet - jusqu’au 24 mars 2008

Padmâvatî d’Albert Roussel

L’orientalisme à la française revu par Bollywood sur Seine

Padmâvatî d'Albert Roussel

Le temps décidément est aux exhumations d’œuvres rares ou oubliées du répertoire français. Après Zampa de Ferdinand Hérold à l’Opéra Comique (voir webthea du 12 mars 2008), petit bijou du 19ème siècle, voici une autre perle, plus précieuse encore, témoin d’une mode qui fit tourner bien des têtes et des leitmotivs au début du vingtième : Padmâvatî d’Albert Roussel, fleuron lyrique de l’orientalisme qui en ces temps-là hantait l’imaginaire des créateurs. Une tendance que les peintres (Delacroix, David…) et les poètes (Hugo, Flaubert) avaient illustré avant que la musique ne s’en empare.

Pour Albert Roussel (1869-1937), fut l’homme qui avait décidé qu’après Wagner l’opéra français se devait de muer, tourner le dos à l’opéra comique alors en vogue et renouer avec l’esprit des opéras-ballets de Rameau et consorts. Pour lui, l’évasion sous les cieux de l’Inde lointaine n’était pas seulement une vue de l’esprit. Cet ancien marin en avait parcouru des régions entières et notamment celle du Rajasthan où il découvrit l’histoire vraie de la reine Padmâvatî de Chitor qui, au début du XIVème siècle préféra s’immoler par le feu plutôt que de se soumettre au sultan mogol qui avait envahi son royaume. Triomphe de la pureté et de l’amour absolu sur la force et la violence. Roussel décida d’en tirer le sujet d’un opéra nouveau et en confia le livret à l’un des meilleurs orientalistes de son temps Louis Laloy. Le projet, né en 1912, fut interrompu par la guerre de 14/18, puis repris intact au lendemain du conflit, en attendant sa création en 1923.

Kitchissime et réjouissant

Acte 1 Danse femmes du palais

Pour Jean-Luc Choplin directeur du Châtelet, faire redécouvrir cet petit chef d’œuvre était l’occasion rêvée de produire l’un de ces grands spectacles qu’il affectionne. Le résultat est à la hauteur de ses espérances : kitchissime et réjouissant. En en confiant la réalisation au metteur en scène Sanjay Leela Bhansali, star adulée du cinéma indien – son film Devdas lui assura une renommée mondiale – il gagnait son pari. Ce Bollywood sur Seine sur une histoire vraie qui ressemble à une fable, fait écarquiller des yeux d’enfants.

Dès l’ouverture c’est un carrousel d’images en technicolor qui se met en branle sous l’œil attentif d’un Ganesh à la trompe bienveillante. Décors d’arabesques sculptées et de colonnades de cavernes d’Ali-Baba, saris de soies vaporeuses où tous les pastels se superposent, plumes, paillettes, bijoux, maquillages savants… Le tout mis en ballets enchanteurs, 100% d’origine, exécutés par des danseurs et des danseuses venus d’Inde que la chorégraphe Tanusree Shankar propulse en voltiges sensuelles.

Un cheval noir à longue crinière bouclée, un éléphant gentil qui s’agenouille docilement pour débarquer son passager, un tigre apparemment de méchante humeur et qui disparaît entrevu, un python annoncé mais absent le jour de la première ont largement nourri les échos avant coureurs de la production. Il n’est pas sûr qu’ils ajoutent un surplus d’exotisme, les mêmes transfigurés en peintures et carton pâte apporteraient sans doute une note infiniment plus poétique. La chevauchée des faux destriers blancs au premier acte en apporte la preuve par le charme et l’humour.

Des sonorités empruntées aux échelles des gammes hindoues

Il n’est pas sûr non plus que ce traitement « à l’authentique » soit le plus apte à servir les rêves d’orientalisme de Roussel. Sa musique, même imprégnée de sonorités empruntées aux échelles des gammes hindoues, reste profondément française, héritière à la fois des derniers sursauts du romantisme et surtout des vagues debussystes qui lui ont succédé. Mais toute stylisation eut sans doute été vaine et n’aurait pas, comme ici, drainé autant de mystères et de plaisirs décalés.

C’est dans l’orchestre, celui du Philharmonique de Radio France que l’élégance et le tact de Roussel se retrouvent grâce à la direction inspirée de Lawrence Foster, cet Américain de Paris qui voue admiration et respect aux musiques oubliées, les françaises comme celles de Roumanie notamment dont il a fait revivre Georges Enesco. Les percussions sollicitées par les parfums d’Orient y trouvent leur rythme tout comme les plages de nostalgies qui illustrent le déroulement du drame à la manière d’un album qu’on feuillette.

Yann Beuron magnifique de clarté en Brahmane amoureux

Acte 1 Ode à Padmâvatî du prêtre Brahmane (Yann Beuron)

Bonheurs divers côté distribution : si les seconds rôles masculins sont tous excellents, les premiers manquent davantage d’équilibre. Pour faire croire au sultan mogol Alaouddin qui assiège Chitor et qui veut, en échange d’un pacte de paix, se faire livrer la vertueuse Padmâvatî, Alain Fondary n’a plus vraiment l’âge et encore moins la voix, érodée par le temps. Le roi Ratan-Sen, l’époux de la belle convoitée, trouve en Finnur Bjanarson, ténor venu d’Islande, un défenseur plus crédible, jouant avec conviction le jeu de l’homme blessé prêt à tout pour défendre son peuple et apprivoisant du mieux qu’il peut les chausse-trappe de la langue française. En Brahmane, également amoureux de la reine et porteur du plus beau chant orientalisant de la partition, Yann Beuron, magnifique de clarté et de projection, est de loin le meilleur. Pour le rôle titre, la sainte à la pureté de lotus, Padmâvatî, qui tue son mari prêt à la livrer à l’ennemi et qui, fidèle aux rites de sa nation, s’immole avec lui dans les flammes, la mezzo Sylvie Brunet, apporte autant de foi que de noblesse, la voix pulpeuse, le jeu mystique et la gestuelle gracieuse des danseuses indiennes.

Padmâvatî opéra-ballet en deux actes d’Albert Roussel, livret de Louis Laloy, Orchestre Philharmonique de Radio France, direction Lawrence Foster, choeur du Châtelet, mise en scène Sanjay Leela Bhansali, scénographie Omung Kumar Bhandula, chorégraphie Tanusree Shankar, costumes Rajesh Pratap Singh, lumières Somak Mukherjee. Avec Sylvie Brunet, Finnur Bjarnason, Alain Fondary, Yann Beuron, Blandine Folio Peres, François Piolino, Laurent Alvaro, Alain Gabriel, Jean-Vincent Biot.
Théâtre du Châtelet, les 14, 18, 20, 22 & 24 mars à 20h – le 16 à 16h – 01 40 28 28 40
www.chatelet-theatre.com

Crédit : Marie-Noëlle Robert

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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