Paris - Théâtre des Champs Elysées jusqu’au 22 mars 2011

Orlando Furioso d’Antonio Vivaldi

Des voix magnifiques pour un Vivaldi en veillée funèbre

Orlando Furioso d'Antonio Vivaldi

Des emplois du temps chargés empêchent parfois les journalistes d’assister aux premières représentations d’une nouvelle production. Ce fut le cas pour cet Orlando Furioso si attendu mis à l’affiche du Théâtre des Champs Elysées le 14 mars, et ce fut en quelque sorte une chance : malade, Marie-Nicole Lemieux, interprète du rôle titre, ne put assurer les deux premières mais fut, lors de la troisième, tout simplement époustouflante. Tant sur le plan vocal que sur celui de son génie du jeu. Une femme miracle.

On l’attendait avec impatience ce singulier opéra qu’Antonio Vivaldi (1678-1741) tira du célèbre Roland Furieux de l’Arioste, un sujet, un thème que le « Prêtre roux » travailla et peaufina en diverses versions durant une quinzaine d’années jusqu’à celle créée en 1727 considérée comme définitive. S’inspirant de La Chanson de Roland, chanson de geste et poème épique de la fin du XIème siècle, l’Arioste en fit une parodie poétique où son héros échoué sur une île enchantée est manipulé par une magicienne jusqu’à en devenir fou.

C’est un conte dont la fée est une Carabosse folle de son corps et de ses pouvoirs qui organise le chaos des relations amoureuses des couples qu’elle tient sous sa coupe, jette des sorts, prépare des philtres d’amour pour s’approprier des hommes unis à d’autres femmes. Elle s’appelle Alcina, elle règne sur son île et sur les cœurs. Orlando est épris d’Angelica qui aime Medoro, Ruggiero, le gentil chevalier fiancé à Bradamante, devient la cible de la magicienne qui lui fait perdre la mémoire pour le garder sous sa coupe. Intrigues et cabales, mensonges et illusions, vengeances et subterfuges : les courses poursuites des amoureux s’étirent sur trois actes, jusqu’au délire d’Orlando trompé et bafoué par celle qu’il aime. Happy end : Alcina vaincue, la paix revient dans l’île et la raison aux âmes qui y séjournent.

De la version de concert à la version scénique

Depuis une légendaire production signée Pier Luigi Pizzi datée de 1981 qui fit pratiquement le tour du monde, cet Orlando Furioso n’avait plus eu les honneurs d’une scène parisienne alors que fleurissaient des productions, à Francfort, à Bonn, à Prague, à Dallas ou Athènes… En octobre 2003 Jean-Christophe Spinosi et son Ensemble Matheus en présentait au théâtre des Champs Elysées une version de concert dont le label Naïve enregistra un superbe CD. Avec dans les principaux rôles : le contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux, la mezzo soprano américaine Jennifer Larmore, la soprano Veronica Cangémi et le contre ténor Philippe Jaroussky, pas encore à l’époque sacré incontournable star des répertoires baroques. Les mêmes se retrouvent dans la fosse et sur la scène du Théâtre des Champs Elysées en ce printemps 2011 et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils ne déçoivent pas.

Noir sur noir, le merveilleux au rancart

On n’en dira pas autant de la mise en scène. D’un Orlando à l’autre, celui de Haendel, vu dans ce même Théâtre des Champs Elysées l’automne dernier avait, entre autres atouts, la fantaisie poétique u metteur en scène David McVicar (voir webthea du 8 novembre 2010). Un parti pris de charme diamétralement opposé à celui de Pierre Audi, 54 ans, directeur depuis 23 ans de l’Opéra d’Amsterdam, qui met au rancart le merveilleux de la fable, ses dragons et son imaginaire et réduit l’ensemble à une veillée funèbre qui se conjugue noir sur noir..
Au premier acte, des panneaux de photographies en négatif représentent l’intérieur d’un improbable palais, au deuxième un lustre géant orné de pendeloques de verre, descend des cintres pour se substituer aux lieux de l’action. Une armée de chaises à tout faire occupent l’espace, un fauteuil surdimensionné est posé à l’envers, des tables couchées-debout sont censés devenir lits ou grottes… Les costumes, également gris et noirs, sont interchangeables. Le troisième acte offre enfin un espace neutre, un grand mur de briques nues qui remplace le donjon où Orlando peut laisser éclater sa folie. Les images ternes et sans relief contredisent l’histoire, et surtout contredisent cette musique si riche en couleurs.

Le plaisir de la musique reste au rendez-vous

Le plaisir pourtant est au rendez-vous, grâce à Jean Christophe Spinosi et à ses musiciens qu’il fait vibrer en poésie. Trop retenue peut-être, il lui manque le petit grain de folie qui traverse la partition, mais elle est de bout en, bout attentive aux voix et au moral des interprètes. A l’actif de Pierre Audi, la direction d’acteur est impeccable. Violence des sentiments contre morbidité des décors, ils et elles flambent leurs passions et embrasent le plateau. Les nouveaux venus s’intègrent superbement à la magnificence de la distribution d’origine : Romina Basso, mezzo italienne donne à Medoro, l’amant d’Angelica, un timbre généreux et un phrasé impeccable, la Suédoise Kristina Hammarström incarne une Bradamante tout feu tout flamme, Christian Senn, baryton chilien est parfait en Astolfo noble et bienveillant.

Jennifer Larmore, en méchante reine hystérique, est la reine du bal. Elle vocalise, roule, et déroule un chant explosif, tout à la fois en force et en beauté. Elle fait peur, on y croit. Voix d’ange et port de prince, Philippe Jaroussky porte Ruggerio au paradis des amoureux, Veronica Cangemi a la souplesse, le legato et le charme troublé d’une Angelica. Quant à Marie-Nicole Lemieux, ex-lauréate du Concours Reine Elisabeth de Belgique qui nous a plus d’une fois conquis (voir webthea des 5 mars 2007 – Giulio Cesare à Nancy -,19 octobre 2008 – Œdipe d’Enescu à Toulouse – 30 octobre 2010 – Les Troyens à Strasbourg), atteint ici une sorte d’apogée : par l’incroyable richesse de sa voix en ombres et lumières, par son époustouflante performance d’actrice, habitée, hallucinée. Une grande décidément qui, de rôle en rôle, s’offre le luxe de grandir encore à chaque nouvelle prise de rôle.

Orlando Furioso d’Antonio Vivaldi, livret adapté de Grazio Braccioli d’après Orlando Furioso de l’Arioste. Ensemble Matheus direction Jean-Christophe Spinosi, chœur du Théâtre des Champs Elysées, direction Gildas Pungier, mise en scène Pierre Audi, décors et costumes Patrick Kinmonth, lumières Peter van Praet. Avec Marie-Nicole Lemieux, Jennifer Larmore, Veronica Cangemi, Philippe Jaroussky, Christian Senn, Kristina Hammarström, Romina Basso.

En coproduction avec l’Opéra National de Lorraine et l’Opéra de Nice Côte d’Azur

Théâtre des Champs Elysées, les 12, 14, 16, 18, 22 mars à 19h30, le 20 mars à 17h

01 49 52 50 50 – www.theatrechampselysees.fr

Et à l’Opéra de Nice Côte d’Azur : du 30 mars au 5 avril, à ’Opéra National de Lorraine du 22 juin au 30 juin

Egalement en tournée européenne à Budapest, Londres, Valladolid, Bilbao et Cracovie

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • Orlando Furioso d’Antonio Vivaldi 20 mars 2011 10:23, par dette

    j’habite vers lyon et je suis très déçue concernant la tournée française d’orlando furioso par spinosi il n’y aurait que nice et nancy qui bénéficieraient de cet opéra
    que ce passe t’il au niveau culturel
    bernadette de vienne

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