Théâtre de la Gaîté Montparnasse (Paris)
Molly
Comme une déception
L’annonce de certains spectacles provoque une excitation proche de l’attente enfantine du Père Noël. Elle est parfois suivie d’une certaine déception à la mesure de l’espoir. L’affiche de Molly, elle, provoque déjà un malaise. On y voit la photo noir et blanc d’une femme d’autrefois coupée au niveau des yeux de part en part créant un bandeau noir. Malaise balayé par la promesse d’une distribution prestigieuse : Laurent Terzieff, Caroline Silhol et Fabrice Luchini. Trois comédiens aux personnalités aussi différentes que possible pour évoquer le destin de Molly Sweeney. Elle est aveugle depuis l’âge de dix mois, même si elle distingue le clair de l’obscur et perçoit les mouvements. Elle vit sereinement protégée dans son enfance. Son entourage familial lui a donné les clefs du monde du sensible. Elle est ainsi parfaitement intégrée, indépendante, elle travaille. Elle croit rencontrer l’amour en Franck.
Laurent Terzieff : fascinant
Cet homme passionné est remonté comme un ressort de montre. Parlant sans arrêt, étourdissant son auditoire de ses discours. C’est un professionnel des causes perdues. Il épouse donc Molly et veut... que sa femme voie ! Pourtant, en contactant Rice, le célèbre ophtalmologue, il va bousculer le bonheur simple de sa femme. Molly vivait en parfaite harmonie dans ses ténèbres, elle en connaissait tous les repères. En recouvrant la vue, elle doit appréhender un univers qu’elle ne connaît pas. Elle se cogne dans ce nouveau monde flou où son mari inconscient et égoïste l’a projeté. La structure de la pièce de Brian Friel est proche de celle d’un scénario cinématographique. Trois personnages exposent en trente-sept monologues un même événement selon leur sensibilité respective. Et si les comédiens se croisent, ils ne se rencontrent pas. Laurent Terzieff impose sa silhouette longiligne, fascinant en docteur Rice. Sa voix incomparable envoûte un public acquis d’avance. La personnalité de Rice se dévoile petit à petit, ses commentaires sur Molly et sur Franck modèlent son personnage, perverti par l’alcool et le désespoir. Terzieff parle, et la salle écoute suspendue à son autorité tranquille.
Caroline Silhol : sensible et lumineuse
Fabrice Luchini interprète Franck. Il fait du Luchini et il est évidemment imbattable dans cet exercice. Le rôle correspond presque trop à l’idée que l’on se fait de ce comédien surprenant parlant à toute vitesse. Il manque une distance salutaire entre le personnage de Franck et le personnage Luchini. Molly est interprétée par cette comédienne sensible et lumineuse qu’est Caroline Silhol. Il y a quelque chose de diaphane chez cette femme à la beauté étrange. Elle est comme une statuette d’albâtre. Elle donne à Molly la sérénité puis l’angoisse du chaos de la vision. La scène où Molly raconte comment elle se livra à une danse frénétique rappelle Danser à Lughnasa. La danse comme un exutoire du bonheur perdu.
Dans ce spectacle beau dans sa sobriété, il y a cependant comme un sentiment un peu trouble de déception. Est-ce sa longueur ? Est-ce la frustration de ne jamais voir les comédiens jouer ensemble, mais jouer côte à côte des partitions de soliste à des temps différents. Il reste que Molly est un spectacle de très haute qualité exprimant des sentiments et des sensations où le sensible et la philosophie font bon ménage.
Molly, de Brian Friel, texte français d’Alain Delahaye, mise en scène de Laurent Terzieff, lumières : Mamet Maaratié, scénographie : Laurent Terzieff et Mamet Maaratié, avec Fabrice Luchini, Laurent Terzieff, Caroline Silhol. Théâtre de la Gaîté Montparnasse Tél : 08 92 701 302.
Photo : Laurencine Lot