Bruxelles - Théâtre Royal de La Monnaie

Mitridate, Re di Ponto de Wolfgang Amadeus Mozart

Cohérence et intelligence dans un décor d’apocalypse

Mitridate, Re di Ponto de Wolfgang Amadeus Mozart

Après avoir ouvert sa première saison à la tête de La Monnaie avec regard sur les musiques de notre temps en lançant la création de Phaedra de Hans Werner Henze - voir webthea du 25 septembre 2007 -, Peter de Caluwe, son nouveau patron, revient à l’incontournable Mozart. Pas à celui des chefs d’œuvre de maturité qui courent sur toutes les scènes lyriques du monde, mais à celui d’une perle rarement jouée conçue par un presque gamin de 14 ans. Mithridate Re di Ponto est le résultat d’une commande faite au jeune Mozart, alors en tournée en Italie avec son père, par le Teatro Regio Ducale de Milan pour le lancement de sa saison 1770-1771. Les commanditaires ne s’adressaient pas un débutant : outre son travail déjà prodigue en matière de musique orchestrale, Mozart avait signé trois petits opus lyriques dont Bastien et Bastienne et La Finta Semplice qui figurent toujours au répertoire. Mais Mitridate relève d’une autre eau, à la fois plus limpide et plus complexe, rassemblant en quelque trois heures de musique tous les signes avant coureurs de son génie en devenir. On le voit pourtant rarement : avec ses longues suites d’airs da capo, son économie d’actions spectaculaires, il reste une sorte de challenge quasi sportif à relever. Sa dernière apparition sur une scène parisienne date de mars 2000, au Châtelet où elle était signée Christophe Rousset et Jean-Pierre Vincent..

"Quand j’entends Mozart je n’ai pas envie de regarder CNN"

Belle idée donc de ressusciter ce condensé de promesses qui prend appui sur la traduction italienne du Mithridate de Racine, tragédie où se disputent les pouvoirs militaires et filiaux, rivalités sentimentales et territoriales entre un père et ses fils ennemis. Mais à la fin sanglante racinienne, Mozart a substitué un happy end où le suicide du monarque engendre justice et réconciliation.

L’action se déroule en 63 avant JC, dans le royaume du Pont, terre d’Anatolie au nord de l’Asie Mineure, alors en guerre contre Rome. Mitridate est vaincu, les Romains ont détruit la cité… Est-ce une raison suffisante pour, une fois de plus, tout transposer dans une vision d’apocalypse du XXIème siècle aux relents de guerre de Kosovo ou Tchétchènie ? Murs calcinés, béton éventré, plafonds déchiquetés où pendouillent des câbles électriques, des néons renversés et des bouts d’armatures, du gris, du noir, des poussières, des fumées et des fumigènes en veux-tu en voilà… On en a tellement usé et abusé depuis une quinzaine d’années, que le procédé en est devenu éculé. Robert Carsen, enfant chéri des maisons d’opéra de Paris, qui signe ici sa première mise en scène bruxelloise, semble y tenir comme à une seconde peau. La reprise de son Lohengrin en mai dernier à Paris, production de onze ans d’âge, affichait déjà ces signes de vieillissement (voir webthea du 25 mai 2007). A l’entracte à La Monnaie une spectatrice confuse soupirait « c’est très bien fait, mais quand j’écoute Mozart je n’ai pas envie de regarder CNN »… Dont acte.

Un rare degré de cohérence et d’intelligence

Une fois le parti pris accepté, il faut reconnaître à Carsen un degré rare de cohérence et d’intelligence. Tout est scrupuleusement analysé et mis en lumières. Les éclairages sont de toute beauté et d’une justesse taillée au laser, la direction d’acteur rend palpable jusqu’au plus petit frémissement les relations entre les personnages. Même quand ceux-ci sont embarqués dans de longs morceaux de soliste, ils restent en situation avec leurs partenaires et leurs splendides duos prennent une envergure carrément pathétique.
Mark Wigglesworth, le nouveau directeur musical maison, tient pour la première fois la baguette dans la fosse de La Monnaie et s’y montre tout à fait convaincant. Pour ce Mozart des jeunes années, il joue la carte de la fidélité, ne prend aucun risque pour que tout soit à propos, vivace quand il le faut, tantôt sombre et emballé, tantôt allégé comme un rayon d’espoir. Un même souci d’homogénéité traverse la distribution.

Un équilibre constant entre les tessitures

Pas de coup d’éclat ni de numéros virtuoses mais un équilibre constant entre les tessitures où, curieusement, ne figure aucun timbre grave, ni baryton, ni basse. Le rôle de Mitridate est attribué à un ténor et l’Américain Bruce Ford le défend avec beaucoup d’intériorité. Les deux fils Sifare, le gentil, et Farnace, le vilain, sont composés pour des castrats. La soprano grecque Myrto Papatanasiu hérite du premier avec un bagout et des aigus ravageurs, et le contre-ténor américain Bejun Mehta transforme le second en pervers chauve et lascif. En Aspasia, la fiancée convoitée, Mary Dunleavy, américaine elle aussi, fait ressortir plus de fragilité que de passion et Véronica Cangemi, notre Argentine de Paris, dans le rôle plus bref d’Ismène est accueillie comme une révélation.

Mitridate Re di Ponto, W.A. Mozart, livret de Vittorio Amedeo Cigna-Santi d’après Mithridate de Racine, orchestre symphonique de La Monnaie, direction Mark Wigglesworth, mise en scène Robert Carsen, décors Radu Boruzescu, costumes Miruna Boruzescu. Avec Bruce Ford, Mary Dunleavy, Myrto Papatanasiu, Bejun Mehta, Veronica Cangemi, Maxime Mironov, Jeffrey Francis.
Théâtre Royal de La Monnaie à Bruxelles, les 16,18,23,26 octobre, 3,6,8 novembre à 19h – les 21,28 octobre et 11 novembre à 15h - +32 (0)70-233.939

crédit photos : MAARTEN VANDEN ABEELE

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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