Paris - Théâtre National de Chaillot
Meistersinger
Franck Castorf règle son compte à Wagner
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- 15 janvier 2007
- Critiques
- Opéra & Classique
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Opéra mis en théâtre ou théâtre arrosé d’opéra ? Difficile de donner une définition à la virtuose entreprise de démolition à laquelle se livrent le metteur en scène allemand Franck Castorf et son décorateur le plasticien Jonathan Meese autour des Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner. Décidément, quand les Allemands fouillent dans les poubelles de leur Histoire et règlent leurs comptes aux hommes de leur passé, le moins qu’on puisse en dire c’est que ça saigne. On sait depuis longtemps que Castorf, directeur de la Volksbühne de Berlin (ex-Est) n’est pas un homme de nuances. Quand il s’exprime, c’est pour dénoncer et il le fait à grands cris. Qu’il prenne pour cible Dostoïevski (voir webthea du 18 janvier 2006 à propos de Crime et Châtiment) ou Shakespeare ou Sartre, il fait table rase de toute retenue, cogne, éructe, explose. Jusque dans les déjections, le stupre et la barbarie.
Appels ampoulés à la dictature de masse
Communiste dissident, portant deux fois la honte des échecs de son pays, celui du national socialisme comme celui du communisme à la soviétique, son rendez-vous avec Wagner était sans doute fatal. Et le choix des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, l’opéra favori d’Adolf Hitler qui y puisait le suc du pur « Art Total Allemand » et le faisait jouer en ouverture de toutes ses réjouissances nazies, figure forcément en ligne droite dans ses obsessions. Mais comme cela ne lui suffit pas, il décida d’y injecter des extraits revendicateurs que le dramaturge Ernst Toller publia en 1919 sur le thème de la lutte des classes. À côté de ses appels ampoulés à la dictature de « la masse » (tirés de Masse Mensch) la prose redondante de Wagner ressemble à du Prévert.
Des comédiens qui savent tout faire et ne reculent devant rien
Musicalement l’enjeu tient également du bizarre. Pas mal fait au demeurent avec un orchestre désossé de ses cordes (rien que des vents, hautbois, cor anglais, clarinette, saxo, basson, trompette, trombone, euphonium, cornet à piston, un piano dans la fosse, un autre sur scène). Un seul vrai chanteur, le ténor Christoph Homburger dans le rôle de Walter von Stolzing, se détache d’une distribution de comédiens acrobates, danseurs, hurleurs d’une vitalité et d’un professionnalisme à toutes épreuves. Ils savent tout faire et ne reculent devant rien, se rouler dans la fange, cracher, lécher, exhiber leur intimité. C’est censé être drôle sans doute, mais on rit bien peu ou jaune.
Stars de la scène dans un invraisemblable foutoir tagué
Des stars de la scène allemande se partagent les rôles de Eva (l’incroyable Sophie Rois, corps de liane, voix feutrée de beuglantes de cabaret), Hans Sachs (Bernhard Schütz), ou de Beckmesser (Max Hopp). Tout ce petit monde évolue dans un invraisemblable foutoir à base de panneaux tagués, d’invraisemblables véhicules sur roues ou sur roulettes et d’accessoires insensés comme ce faux cheval de Troie qui vomit du sperme quand on lui tire la queue.
Les blagues assénées au rythme d’une mitraillette se jouent le plus souvent sous la ceinture et dans les intermèdes parlés, le langage se gave de crudités (singulièrement édulcorées dans les surtitres). De toute cette brutalité suinte une rage incommensurable. Mais le règlement de comptes est à usage interne. Pour qui n’est pas allemand, ou ne connaît sur le bout des doigts tous les soubresauts de son histoire, le message est obscur et très vite l’ennui, bien plus que le rire ou la folie, s’installe.
Meistersinger de Franck Castorf, d’après Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg de Richard Wagner et Masse Mensch d’Ernst Toller. Mise en scène Franck Castorf, scénographie, décors & costumes Jonathan Meese, conception et direction musicale Christoph Homberger & Christoph Keller. Avec Christoph Homberger, Sophie Rois, Bernhard Schütz, Max Hopp, Winfried Wagner, Axel Wandtke, Silvia Rieger... Chœur du personnel de la Volksbühne.
– Théâtre National de Chaillot, salle Jean Vilar ; les 10,11 & 12 janvier 2007.