Opéra National de Paris Bastille jusqu’au 6 décembre 2010

Mathis der Mahler-Mathis le Peintre de Paul Hindemith

Un défi relevé avec grandeur

Mathis der Mahler-Mathis le Peintre de Paul Hindemith

L’événement est de taille dans tous les sens du terme. Par son volume, sa longueur, sa nouveauté et sa prise de risque. Avec ses trois heures quinze de musique âpre et austère, ses sept tableaux de méditation philosophique, religieuse et sociale, Mathis le peintre de Paul Hindemith représente un défi dans le paysage de l’opéra. Un défi que Nicolas Joël relève avec grandeur.

L’œuvre monumentale à l’image du célèbre retable d’Issenheim qui l’a inspiré n’avait jamais été représentée à Paris, son unique production française eut lieu à Strasbourg en 1951. Aujourd’hui, celle de sa résurrection à Bastille est tout simplement somptueuse. Mise en scène inspirée d’Olivier Py, direction d’orchestre subtile de Christoph Eschenbach, machinerie prodigue du théâtre le mieux équipé de France et d’ailleurs, tout fonctionne.

De Paul Hindemith on avait découvert il y a cinq ans, sur le plateau de ce même Opéra Bastille, Cardillac, un polar lyrique d’une heure trente programmé par Gérard Mortier, le prédécesseur de Nicolas Joël, mis en scène et transposé par André Engel dans les années vingt, années folles de créativité tous azimut où il fut composé (voir : http://www.webthea.tv/?Cardillac,724 et http://www.webthea.tv/?Cardillac-de-Paul-Hindemith,1382 ). De 1926 à 1938 beaucoup de choses changèrent particulièrement en Allemagne qui bascula en 1933 sous la dictature nationale-socialiste d’Adolf Hitler. En 34 quand Hindemith, compositeur majeur de la République de Weimar ouvert à la fois au sérialisme et au jazz, commença la composition de Mathis le peintre, il se savait sur la touche. La première mouture sous forme de Symphonie fut jouée et triompha grâce exclusivement à l’engagement et la force de persuasion du chef Furtwängler. Deux ans plus tard, Hindemith, seul musicien non juif à être classé dégénéré, fut définitivement interdit. Mathis le Peintre dans sa forme définitive d’opéra vit le jour à Zürich, première étape de l’exil qui allait de refuge en refuge faire du compositeur allemand un citoyen américain.

Chasse aux sorcières, hommes cachés, livres brûlés

Le choix de la personnalité, de la vie et du destin de Gotthardt Nithart, connu sous le nom de Matthias Grünewald (1475-1528), peintre de la Renaissance qui connut et subit les guerres de religions entre le protestantisme naissant de Luther et le catholicisme conservateur de Rome, n’est certainement pas étranger à la situation vécue à la mi-temps des années trente en Allemagne nazie. Chasse aux sorcières qui osent penser autrement, hommes et oeuvres cachés, livres brûlés…Matthias Grünewald en a traduit les tragédies dans ce polyptique biblique hors norme que l’on peut admirer au Musée Unterlinden de Colmar, qui retrace la vie du Christ et la Tentation de Saint Antoine, avec, en toile de fond les soubresauts et les cauchemars de la Réforme.

Hindemith en reprend l’historique. Les lieux, les événements, les personnages sont réels. Tout se passe à Mayence vers 1525 quand l’archevêque Albrecht von Brandebourg était en voie de conversion au protestantisme : paysannerie en révolte, répression, autodafés, pillages et destruction en sont les clés. Et, au centre de ce chaos, l’artiste qui soutient les opprimés et se pose des questions sur lui-même et sur l’utilité de son art.

Musique austère, texte dru

De ce polyptique Hindemith, altiste raffiné, tire des polyphonies où pointe l’héritage wagnérien, où se mêlent des mélodies et des échos de chants grégoriens. Une musique austère qui revendique l’absence de fonction illustrative mais qui emporte l’action en orages et tempêtes. Le texte qu’il a lui-même rédigé est dru, touffu, pesé, pensé. Une sorte de profession de foi.

Eschenbach, pour la première fois dans la fosse de l’Opéra de Paris, dirige avec rigueur et passion cette musique en ruptures savantes. Hasard ou prédestination de prénoms ? Matthias Grünewald ne pouvait espérer de meilleure incarnation que celle de Matthias Goerne, baryton allemand qui lui apporte une présence quasi hallucinée et la chaleur d’une voix capable de passer sans fléchir de la rugosité des révoltes à la douceur des espoirs. La distribution est sans faille avec notamment l’extraordinaire ténor Scott Macallister et le touchant Michael Weinus, la basse Gregory Reinhardt, les sopranos Melanie Diener, Ursula pathétique et Martina Welschenbach en émouvante Regina…

La "servante" d’Olivier Py

Olivier Py, directeur Odéon apporte dès le lever de rideau sa signature particulière en posant à l’avant scène, par-dessus un petit amoncellement de livres, cette ampoule nue appelée « servante » signe et symbole du théâtre dont il fit autrefois un livre et le premier spectacle qui le révéla. Les décors de Pierre-André Weitz défilent, montent des sous-sols, descendent des cintres, surgissent en éléments gothiques, en ombres chinoises, en cathédrales ou villes en ruines. Une imagerie pour ainsi dire kitsch avec ses anges ailés, ses étages, ses projecteurs aveuglants, ses coursives et ses échafaudages qui sont une part de la marque Py. Y compris la présence de chars d’artillerie, de chiens policiers, de brassards à croix gammées et de drapeaux rouges agités, clichés tant et trop vus et revus. Une facilité qui heureusement n’égratigne pas la captivante beauté de l’ensemble. Jusqu’à ce chevalet en forme de croix qui constitue le clap de fin sur la solitude de l’artiste. Son adieu au monde.

Mathis der Mahler/Mathis le peintre, livret et musique de Paul Hindemith, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Christoph Eschenbach, Patrick Marie Auber, chef de chœur, mise en scène Olivier Py, décors et costumes Pierre-André Weitz, lumières Bertrand Killy. Avec Matthias Goerne, Scott Macallister, Thorsten Grümbel, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Gregory Reinhardt, Michael Weinius, Antoine Garcin, Eric Huchet, Melanie Diener, Martina Welschenbach, Nadine Weissmann, Vincent Delhoume .

Opéra National de Paris – Bastille, les 16, 19, 22, 25 novembre, 1er, 3,6 décembre à 19h, le 28 novembre à 14h30

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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