Paris – Opéra Bastille

Louise de Gustave Charpentier

Louise, ou la liberté d’aimer

Louise de Gustave Charpentier

Louise , fille rebelle d’un père trop aimant et d’une mère castratrice, héroïne du plus pur opéra vériste à la française vient d’entrer par la grande porte à l’Opéra national de Paris, un siècle et sept années après sa création à l’Opéra-Comique. Voilà Gustave Charpentier enfin reconnu dans sa maison. Gérard Mortier, son directeur, met décidément un point d’honneur à réhabiliter les chefs d’œuvres maltraités par les vents de l’Histoire et des modes. Un mois à peine après avoir brillamment orchestré la résurrection de La Juive de Jacques Fromental Halévy, voici donc un autre triomphe du répertoire qui reprend vie après une longue absence. Les deux œuvres n’ont pas seulement en commun d’avoir été d’immenses succès à leur création avant de passer à la trappe de l’oubli. L’une et l’autre traitent de destins de femmes. Mais là s’arrêtent les analogies, Rachel et Louise ne plaident pas les mêmes causes.

Paul Groves (Julien) Mireille Delunsch (Louise)

Par-dessus les toits de Paris

Si la première se fait l’avocate martyre de la liberté de penser, la seconde se veut messagère de la liberté d’aimer. D’un côté une tragédie lyrique de l’autre « un roman musical » dont Paris, reine du monde, de l’amour et de la liberté, tient le rôle d’étoile. Nous sommes au tournant des 19ème et 20ème siècle. Il y a du social et du vérisme dans l’air et dans les airs. Puccini peaufine La Bohème en italianissime musique, Charpentier, avec Berlioz, Massenet et Wagner dans les oreilles, plante ses saltimbanques sur la butte Montmartre. Par-dessus les toits de Paris où Louise, la cousette, va vivre ses pulsions de femmes avec Julien, le rimailleur, son amant de cœur et de corps. Pour qu’enfin s’épanouissent ses désirs et ses rêves, Louise a dû fuir le toit familial où elle était mise en couveuse. Amour possessif du père – oncle Sigmund, à la même époque professait à Vienne, des malheurs de l’Oedipe… – et mère mante religieuse… Ils sont ouvriers, gens simples épris de grands principes et imprégnés des grandes peurs de la morale chrétienne. Louise refuse leur dictature, son père en mourra.

Comme au ciné en scope

René Schirrer (Un chiffonnier) Elisa Cenni (la petite chiffonnière) Anne Salvan (la laitière)

Transposer ce mélo roman photo intimiste taillé aux mesures de la salle Favart dans l’immense vaisseau de Bastille n’était pas chose aisée. La fine équipe du metteur en scène André Engel a eu l’heureuse intuition d’avancer de quelques dizaines d’années l’action : au vu des costumes et des coiffures, on navigue des années trente à celles de l’après-guerre. Avec ses décors que l’on croirait grandeur nature, ses changements en temps record d’un lieu à l’autre, Nicky Rieti, décorateur scénographe, est l’encombrante vedette de la production. Réalisme au pied de la lettre, balayé de magnifiques jeux de lumière : on est comme au ciné en scope, comme devant une télé grand écran allongé. Tout a l’air absolument vrai. Une façade d’immeuble en brique où court un escalier de fer forgé, une station de métro comme si on y attendait la prochaine rame, un appartement petit-bourgeois – trop spacieux pour faire « ouvrier » - auquel il ne manque pas une seule poignée de porte, un atelier de couture, les toits de Paris, une salle des fêtes…Ces deux derniers ayant déjà été aperçus, l’un dans Cardillac de Hindemith, l’autre dans K de Philippe Manoury, on peut imaginer que, vu le coût de l’ensemble, le recyclage a du bon…

José Van Dam grandiose de simplicité et d’humanité

Mireille Delunsch a davantage la grâce d’une princesse de conte des fées que le pep d’une parigote, mais de Louise elle a la douceur nostalgique et la flamme amoureuse. Quand elle chante « Depuis le jour où je me suis donnée, je suis heureuse » on y croit, malgré quelques aigus incertains. En Julien, l’Américain Paul Groves, après un démarrage en roue libre, le soir de la première, a pris peu à peu de l’assurance jusqu’à devenir convaincant tant vocalement que sur le plan du jeu, avec, en prime, une diction parfaite. Jude Henschel campe une mère vampire qui peu à peu s’humanise. Le père a bien de la chance d’être incarné par José Van Dam, grandiose de simplicité et d’humanité, la voix toujours aussi chaude même si elle a, ici ou là, prit les marques du temps en perdant un peu de sa puissance. Ce qui d’ailleurs s’accorde parfaitement au personnage. Les rôles secondaires, des cousettes de l’atelier aux promeneurs, sont impeccables et les chœurs, une fois de plus exemplaires.

Mireille Delunsch (Louise) Paul Groves (Julien)

La musique de Charpentier alterne les fulgurances romantiques avec des envolées de chansons populaires et des plages d’émotion tendre. Il y a du nerf et du mélo dans sa palette de sons et de couleurs et Sylvain Cambreling, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra en pleine forme, réussit, avec vigueur mais sans véhémence à en faire éclore les nuances. Attentif aux voix qu’il ne couvre jamais, aux tempi qu’il rythme, tantôt en allégresse, tantôt en douceur sans jamais se laisser piéger par le sirop du mélo. Du beau travail !

Louise « roman musical » musique et livret de Gustave Charpentier, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Sylvain Cambreling, mise en scène André Engel, décors Nicky Rieti, costumes Chantal de la Coste Messelière, lumières André Diot. Avec Mireille Delunsch, Jane Henschel, José Van Dam, Paul Groves et Marie-Paule Dotti, Natascha Constantin, Anne Salvan, Luca Lombardo, rené Schirrer…
Opéra de Paris – Bastille, les 27, 30 mars, 3, 6, 9, 12 & 19 avril à 19h30, le 15 à 14h30 – 08 92 89 90 90

Crédit Photos : Eric Mahoudeau / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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