Théâtre de la Tempête (Paris)

Le Procès

Investigation psychanalytique

Le Procès

Philippe Adrien a souvent des investigations inattendues dans nos grandes œuvres littéraires. Après s’être attaqué au Malade imaginaire, il prend d’assaut, avec la même équipe d’acteurs, Le Procès de Kafka. Son acuité psychanalytique lui permet d’aller chercher l’essentiel du roman et d’y découvrir des intentions enfouies. Son travail de fouille en extirpe le rêve, parfois même le cauchemar. Sorte de psychanalyste qui fait parler l’œuvre dans ses retranchements, Adrien provoque la résurgence d’un texte des profondeurs, il creuse dans les galeries souterraines et se risque dans les strates inconscientes de l’auteur. Il fait également apparaître toute une imagerie que nous appréhendons aussi, inconsciemment. Jusqu’alors, on la pressentait tout en la refusant : il nous l’impose, nous la matérialise, pour nous la faire accepter.

Dans la névrose de Joseph K

Dans sa mise en scène, la facture générale se veut drôle, même si les angoisses sortent par les portes. Il nous entraîne dans la névrose de Joseph K, à la recherche d’une sorte d’absolu qu’il ne maîtrise plus. Paradoxalement, c’est une réconciliation avec la mort, car on pressent ne pas suivre le personnage jusqu’à sa limite. On lui lâchera la main avant qu’il sombre dans le gouffre fatal d’un univers absurde où tout vous accuse. D’ailleurs, le personnage principal, interprété par Bruno Netter, atteint de cécité, est, par son handicap, encore plus entraînant et plus obsessionnel. Ainsi, Joseph K. aveugle s’en remet-il à son instinct animal, superbe, à la sensualité divinatoire. Il appréhende à la puissance supérieure tout ce qui l’entoure. Dans ses ténèbres, Bruno Netter est lumineux. On est touché par sa sensibilité discrète. Sa différence porte le personnage et lui permet de franchir des perceptions qui nous échappent. "Peut-être qu’avec les yeux fermés on voit mieux le monde" dit le héros d’un film de Takeshi Kitano. Pour l’acteur et le personnage, ne voyant pas le monde, ils l’imaginent. La scène matérialise ainsi, pour le spectateur, la projection de la fantasmagorie.

Dispositif à la géométrie carcérale

D’ailleurs, n’est-elle pas inscrite scéniquement dans une projection infinie puisque le dispositif scénique est une plate-forme tournante qui ne propose aucune ligne brisée. Une circulation partant d’un cercle inscrit dans le carré impossible de la scène. Engagé dans une procédure sans fin, Joseph K est inclus dans ce dispositif à la géométrie carcérale. Les protagonistes évoluent autour de lui comme des automates placés sur une plate- forme. Ils apparaissent et disparaissent comme les figurines obsédantes d’une boîte à musique, sortes de fantômes matérialisant les obsessions de Joseph K.

Un spectacle imprévisible

La mise en scène joue de ces différentes superpositions qui traduisent esthétiquement le dédale dans lequel J.K se trouve enfermé. L’ensemble appelle des contrastes qui proposent un spectacle imprévisible. C’est de l’ordre d’un inattendu constant, tel un songe perturbant. Entraîné dans la spirale de ce faux procès, nourri de l’intérieur par le personnage, nous en partageons l’angoisse et parfois une sorte de fausse sérénité. C’est une trame dramatique où le spectateur travaille. Il est actif. D’autant plus actif que le handicap physique de certains acteurs l’amène à réfléchir sur son état. Drôle de bagarre qui met en évidence la lutte impossible du héros face à l’absurdité du monde bureaucratique qui l’étouffe. Cette mise à distance allège quelque part le spectacle et nous permet d’aller en toute confiance dans la sincérité du roman dont l’adaptation de Philippe Adrien est intelligemment menée.

Le Procès, de Franz Kafka, mise en scène de Philippe Adrien. Théâtre de la Tempête. Jusqu’au 13 février. Du mardi au samedi à 20h30 - jeudi 19h3O et dimanche 16h. Cartoucherie, route du Champ de manœuvre. Réservation : 01 43 28 36 36.

A propos de l'auteur
Jacky Viallon
Jacky Viallon

Jacky Viallon aurait voulu être romancier à la mode, professeur de lettres ( influencé par les petites nouilles en forme de lettres qu’on lui donnait tout petit dans sa soupe et qu’il taquinait avec sa grande cuillère en argent symbole d’une grande...

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