Théâtre de La Commune d’Aubervilliers

Le Bal des Fous

Les marionnettes ont-elles une âme ?

Le Bal des Fous

Ce spectacle baroque nous renvoie agréablement à plusieurs techniques du théâtre de foire. La structure est implantée actuellement dans le parc du théâtre de la Commune d’ Aubervilliers. Elle tient de la roulotte, du chapiteau, ou d’une loge théâtrale des foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent au XVIIIe siècle. Ainsi y voit-on, en prologue au spectacle, à l’extérieur, deux paradistes qui hèle, musicalement et lyriquement, le chaland, lui signalant le début du spectacle. Ces deux compères, armés d’un accordéon et d’un bandonéon, font le bastringue avec une simple chansonnette pour annoncer ce qui va se produire à l’intérieur. Le jeu est syncopé, le mouvement étrangement décomposé. Les interprètes s’inspirent d’une gestuelle de marionnette et semblent surgirent de quelque trappe sulfureuse d’une autre époque. Ces deux comédiens, Natacha Muet et Piero Pépin, déploient une énergie surprenante et animeront ensuite les intermèdes entre les différents épisodes de la soirée. Durant le spectacle, le reste de la troupe présente des ambiances esthétiques différentes en gardant toutefois une cohérence plastique sur l’ensemble de la soirée.

Une confusion magique

Le plus surprenant dans ce travail, bien que la technique soit maintes fois présentée, réside dans le rapport entre la marionnette et le manipulateur. En fait celui-ci est délibérément à vue et joue le texte en nous faisant oublier la manipulation, tel un comédien libre. En revanche, une synchronisation étonnante s’établit entre l’énoncé et l’animation de l’objet humanisé. Une sorte de confusion magique et secrète s’établit. Ainsi le spectateur visionne du même regard les deux jeux dramatiques en superposition. Une vision globale s’opère mais peut aussi se fragmenter pour se fixer sur un détail. Le spectateur se surprend ainsi à focaliser ou élargir l’image. Sans compter que l’abondance des décors périphériques sollicite l’œil sur d’autres champs complémentaires.

Les comédiens manipulateurs, à la fois chanteurs et quasiment danseurs, disposent d’une étonnante mobilité d’emploi. Ainsi les manipulations sont elles agréablement fluides malgré la complexité et la diversité des propositions scéniques. Trois petits extraits d’œuvres nous sont présentés durant cette soirée : Moby Dick de Melville, Le Crocodile de Dostoïevski et Le Pêcheur de Tolède de Tchékhov. La force dramatique du théâtre d’animation permet de faire basculer rapidement les codes : on saute d’un décor à l’autre, on travaille sur la vélocité potentielle de l’imaginaire du spectateur, on fait appel à sa fameuse vision pointilliste ou elliptique ? Bref on le surprend et on l’active sur un espace conventionné.

Les décors apparaissent et disparaissent, réalistes, tourmentées ou en trompe l’œil. Ils sont présents, spécifiques, actifs. Ce spectacle, d’une grande générosité, est porté par une troupe dynamique et talentueuse, qui est aussi, rappelons-le, à l’initiative de l’aventure théâtrale Cinérama, théâtre de l’errance construit comme un voilier, un bout de l’Orient-Express, une part de théâtre à l’Italienne. La structure est posée là dans le parc, comme en cale sèche pour quelques jours. C’est accueillant mais qui entre ? Certainement une bonne proportion d’habitués du théâtre de la Commune. Cependant, ce chapiteau-roulotte qui fait rêver de l’extérieur entraîne sûrement à l’intérieur un public nouveau, inattendu, public de la rue, de la curiosité, du hasard.

Le Bal des fous, (Des nouvelles de la folie) d’après Melville, Dostoïevski et Tchékhov*. Création collective 2005 : le Cinérama et les Chiffonnières. Avec les marionnettistes : Steffie Bayer, Brice Berthoud en alternance avec Gérard Sanchez, Stéphane Boirean, Tamara Incekara, Camille Trouvé en alternance avec Sophie Mage. Les musiciens : Natacha Muet, Julie Avril, Piero Pépin, Arnaud Vidai. marionnettes Steffie Bayer avec l’aide de Einat Landais, Sophie Mage, Clément Peretjatko, Anafe Durin. Décors : Steffie Bayer, Stéphane Boireau, Christophe Mora, Arnaud Vidai. Costumes Gaëlle Pasqualetto, Eisa de Witte. Musique Natacha Muet, Piero Pépin. Textes des chansons : Camille Trouvé. Son : Antoine Garry. Lumières : Christophe Mora. Regard extérieur : Arnaud Vidai.
Théâtre de la Commune Aubervilliers du mardi au samedi à 21 h jusqu’au 20 Mai . En tournée à partir de fin mai 2006 à Namur, à Sénart (La Coupole, Scène nationale), à Marne-La-Vallée (La Ferme du Buisson, Scène nationale) Renseignements : 01 48 97 29 50.

Crédit photos : Arnaud Vidai

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Jacky Viallon
Jacky Viallon

Jacky Viallon aurait voulu être romancier à la mode, professeur de lettres ( influencé par les petites nouilles en forme de lettres qu’on lui donnait tout petit dans sa soupe et qu’il taquinait avec sa grande cuillère en argent symbole d’une grande...

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