Opéra National de Paris – Palais Garnier jusqu’au 10 juillet 2010

La Dame du Lac de Gioacchino Rossini

Pour le seul bonheur des voix

La Dame du Lac de Gioacchino Rossini

De Rossini (1792-1868), champion de la virtuosité vocale, on entend, on voit invariablement sur nos scènes Le Barbier de Séville, la Cenerentola ou l’Italienne à Alger. L’entrée au répertoire de l’Opéra National de Paris de sa Dame du Lac/La Donna del Lago inspirée du poème épique The lady of the lake de Walter Scott est donc attendue et bienvenue. Sur scène le résultat de cette nouvelle production confiée au metteur en scène espagnol Lluis Pasqual laisse perplexe. Difficile en effet d’imaginer en ce début de 21ème siècle, après près de 40 années de dépoussiérage du patrimoine lyrique, un retour aussi radical vers les vieilleries et les tics des réalisations d’autrefois.

Avec des interprètes plantés à l’avant scène, la main sur le cœur et l’index levé, chantant leurs arias face au public sans le moindre souci de l’action dramatique, ni même de leurs partenaires laissés en carafe. On se pince pour y croire. On s’attriste du gâchis, tant les prodigieuses voix réunies dans ce casting d’exception méritent mieux qu’une version de concert costumée. Joyce di Donato, Juan Diego Florez en vedettes, et aussi Daniela Barcellona, Colin Lee, Simon Orfila font malgré tout passer une soirée divine à l’oreille. Il suffit de fermer les yeux.

C’est l’histoire d’une femme aimée de trois hommes, de parties de chasse et de guerre dans les montagnes d’Ecosse au 16ème siècle. Travestissements et quiproquos font balancer les destins, mais tout se terminera bien.

Fatras tape à l’œil rempli de poncifs

Le décor d’Ezio Frigerio qui fut le scénographe du grand Giorgio Strehler avant de devenir celui de Nicolas Joël à Toulouse puis à Paris, confond le gigantisme et le luxe avec la poésie de l’imaginaire : deux énormes hémicycles sur colonnades torsadées répartis sur trois étages s’ouvrent et se rejoignent tantôt sur des étendues lacustres (une volée de marches éclairée en clapotis) tantôt sur des espaces de forêt ou de palais. Du centre émerge par une trappe une série d’éléments illustrant l’action (une barque, un banc, un rocher…) ou… la musique (une harpe en écho au beau solo qui monte de la fosse), des cintres montent et descendent des lustres d’opéra… Théâtre dans le théâtre ? Allez savoir ! Les costumes de Franca Squarciapino sont conçus sur le même registre : queues de pie noirs et chemises blanches pour les chœurs, armures d’argent et soies chamarrées pour les figurants et les principaux personnages. L’ensemble constitue un fatras tape à l’œil rempli de poncifs. Si on y ajoute l’intervention indigente et récurrente de quelques danseurs, on frôle l’indigestion.

Le bonheur est dans les voix

Rossini heureusement veille et ne s’en laisse conter que par ceux qui servent sa musique. Le chef Roberto Abbado s’en acquitte correctement mais sans magie ni poésie, surtout sans ces paillettes qui font si bien scintiller le son rossinien.

Le bonheur est dans les voix. Simon Orfila, Colin Lee adroitement évitent les pièges de cette partition taillée pour des athlètes. Daniela Barcellona reprend le rôle de Malcolm qui est l’un des personnages qu’elle a le plus chanté sur bien des scènes et se l’approprie une fois de plus avec son phrasé stylé, son aplomb et la sincérité de son jeu.

En Elena/Dame du lac et Uberto/prince déguisé, le couple Joyce di Donato/Juan Diego Florez est le meilleur qu’on puisse imaginer, ils sont beaux, ils sont émouvants, ils forment un sommet dans l’art de faire fuser des vocalises astrales comme si de rien n’était, avec le plus parfait naturel. Musicalité irréprochable, projection aristocratique, fraîcheur et quasi insolence dans la pyrotechnie des aigus. Ils sont éblouissants simplement.

La Dame du Lac/La Donna del Lago de Gioacchino Rossini d’après Walter Scott, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Roberto Abbado, mise en scène Lluis Pasqual, décors Ezio Frigerio, costumes Franca Squarciapino, lumières Vinico Cheli. Avec Juan Diego Florez (et Javier Camarena en juillet), Joyce di Donato (et Karine Deshayes en juillet), Daniela Barcellona, Colin Lee, Simon Orfila, Diana Axentii, Jason Bridges, Philippe Talbot.

Opéra National de Paris - Palais Garnier, les 14, 18, 21, 24, 30 juin, 2, 7, 10 juillet à 19h30, le 27 juin à 14h30.

08 92 89 90 90 et +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr

© Agathe Poupeney

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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