La Bohème version Années folles

Au Capitole de Toulouse, l’opéra de Puccini est replacé dans l’effervescence artistique des années 1920.

La Bohème version Années folles

À chaque époque sa bohème. La nôtre est dite bourgeoise-bohème (bobo). La bohème des origines, la « vraie » est une fiction littéraire ; elle a été créée par le dramaturge Henri Murger dans ses Scènes de la vie de bohème, parues d’abord en feuilleton et éditées en recueil en 1851 avec un grand succès. Elle décrit une communauté d’artistes exclusivement masculins qui vivent pour l’art et de l’art, avec plus ou moins de succès. La plupart du temps faméliques, ils sont entourés d’une bande de « petites femmes de Paris », dont Mimi, l’héroïne, brodeuse de fleurs, jeune fille réservée mais pas farouche, ravagée par la phtisie (la maladie de l’époque), et la cocotte Musette qui n’a pas froid aux yeux. Cette clique bigarrée, tenaillée par la faim et le froid, vit au jour le jour dans des chambrettes mal chauffées avec des moments de disette qui alternent avec des jours de gloire et de bamboche. C’est de cette bohème-là qu’est parti le livret de l’opéra le plus populaire de Puccini, mélo flamboyant sous-titré « Scènes lyriques en quatre tableaux », créé en 1896 à Turin. Avec pour fil rouge (et ténu) les amours de Mimi et du poète Rodolfo.

Partant du principe qu’il ne reste quasiment plus rien dans la mémoire collective de cette bohème des origines, celle de l’époque dite romantique, le Français Renaud Doucet et le Canadien André Barbe qui, à leur habitude, signent de conserve cette production (le premier plutôt à la mise en scène, le second aux décors et à la scénographie), ont fait subir à l’œuvre une double transposition. D’abord dans le temps : nous ne sommes plus au XIXe siècle à l’époque du livret mais dans les années 1920-1930, époque d’effervescence dite Années folles avec une cohorte de (vrais) personnages du cru ou étrangers qui ont marqué l’histoire : Mistinguett, Joséphine Baker, Cocteau, Picasso, Diaghilev… Ensuite, transposition dans l’espace : nous ne sommes plus au Quartier latin mais au Marché aux puces de Saint-Ouen devant une boutique Art Déco où l’impécunieuse Musette, qui vient de perdre sa chambre, met ses meubles à l’ancan.

On a donc affaire à une mise en abyme du mythe de la bohème avec les clichés qui inévitablement l’accompagnent. C’est d’ailleurs sur un air pour le moins inattendu d’accordéon et la chanson « Ça c’est Paris ! » poussée par une chanteuse des rues copie conforme de Mistinguett, que s’ouvre le spectacle. Dans un coin, sous un halo de lumière, on distingue la silhouette d’une femme frêle et chauve, sans doute victime du cancer, la maladie de notre temps. On le comprend d’emblée : cette femme recrée sa bohème et, traversant le mur de verre qui sépare le réel de la fiction, devient Mimi.

Décor très léché

Sur un rideau de tulle transparent qui délimite la scène du Capitole une vieille photo couleur sépia des toits de Paris donne le ton. Lorsqu’il se lève, apparait un décor très léché et réaliste, façon Alexandre Trauner pour les films de Marcel Carné, qui figure une place des Puces avec ses boutiques à l’entour. Au gré des quatre tableaux, celles-ci deviennent tour à tour la mansarde où Mimi et le poète Rodolfo entament leur relation, puis une rue du Quartier latin une nuit de fête (la plus spectaculaire, avec ses figures géantes dignes de la troupe du Royal de Luxe), à quoi succède la Barrière d’enfer (poste d’octroi) par un matin glacial où Mimi et Rodolfo conviennent de se séparer. Et enfin, retour à la mansarde du début où chacun dans le cercle d’amis fait assaut de générosité pour tenter de sauver Mimi qui, vaincue par la maladie, disparaît (littéralement), sortant de l’histoire de la même manière quasi-magique qu’elle y était entrée.

Sur ce synopsis ultra-sensible et fortement lacrymatoire, Puccini a déployé une musique très théâtrale avec une extraordinaire variété de couleurs et des accès de lyrisme échevelé dans des grands airs de bel canto, des duos déchirants, des ensembles ciselés. Conformément à la politique du Capitole, l’équipe d’interprètes est composée de jeunes talents, la plupart affrontés pour la première fois à ce répertoire rien moins que facile. À commencer par le jeune chef italien Lorenzo Passerini qui donne un bel élan et une grande amplitude à l’Orchestre et au chœur du Capitole, au risque parfois de couvrir les voix.

La distribution est appelée à changer au fil des représentations qui s’étagent jusqu’au 6 décembre. Celle que nous avons vue au soir de la première s’est montrée très homogène, juste un peu intimidée par l’envergure vocale des personnages qu’ils interprètent. D’emblée, la soprano Vannina Santoni qui incarne Mimi apporte une note de gravité et de délicatesse à son rôle de cousette, comme il apparaît dès son grand air de présentation Si, mi chiamano Mimi… Un cran en dessous, le ténor arménien Liparit Avetisyan, s’il a la tessiture requise pour le rôle de Rodolfo, manque un peu de souplesse. L’autre couple vedette de la soirée, formé par la soprano Marie Perbost en Musetta au grand cœur et le baryton Mikhail Timoshenko en Marcello, peintre éternel insatisfait, sont l’incarnation même de la passion volcanique.

Photo Mirco Magliocca

La Bohème de Giacomo Puccini, au Capitole de Toulouse jusqu’au 6 décembre, www.theatreducapitole.fr
Direction musicale : Lorenzo Passerini, Mise en scène, décors et costumes : Barbe et Doucet, collaboration artistique : Florence Bas, lumières : Guy Simard.
Avec Vannina Santoni / Anaïs Constans : Mimi, Liparit Avetisyan / Azer Zada : Rodolfo, Marie Perbost / Andreea Soare : Musetta, Mikhail Timoshenko / Jérôme Boutillier : Marcello Julien Véronèse / Guilhem Worms : Colline, Edwin Fardini : Schaunard, Matteo Peirone : Benoît / Alcindoro, Michel Glasko : accordéon.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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