LUCIA DI LAMMERMOOR de Gaetano Donizetti

Le triomphe de Natalie Dessay, la révélation de Matthew Polenzani

LUCIA DI LAMMERMOOR de Gaetano Donizetti

On n’attendait qu’elle, on ne vient que pour elle et on n’est pas déçu du voyage : Natalie Dessay enfin de retour après quelques cycliques problèmes de cordes vocales - deux opérations en deux ans - retrouve la folie de sa Lucia (déjà chantée à Lyon) et met la Bastille à ses genoux. Prodigieuse de fraîcheur, d’animalité, gamine à peine pubère perdant la boule pour trop d’amour et pas assez de résistance aux complots qui l’abattent.

Car Lucia di Lammermoor, née dans les brumes et les mystères de l’Ecosse de Walter Scott et mise en tempêtes musicales par Gaetano Donizetti est poussée dans la folie comme un pion sur un échiquier. Vieille rengaine d’amour impossible : la haine réciproque de deux familles rivales et le destin sans issue de deux enfants qui s’aiment... Lucia qui aime Edgardo et est aimée de lui, est manipulée comme une poupée de son par son frère Enrico qui lui fait croire à la trahison de son amant et la jette dans les bras d’un parti bénéfique pour lui, haïssable pour elle. De quoi faire basculer sa raison, en faire un zombie qui assassine et qui meurt en délire.

Ballet halluciné et aériennes vocalises

Dans une transposition qui tourne le dos à toute poésie, le metteur en scène Andrei Serban guide les errances de Lucia/Natalie dans un ballet halluciné où l’incroyable vitalité de la soprano colorature se plie aux plus improbables acrobaties physiques, voltiges et gesticulations sans perdre une once de son souffle, ni interrompre un legato qui reste fluide et velouté jusqu’aux aigus extrêmes.
Entre le metteur en scène et la triomphatrice du rôle titre l’entente fut visiblement cordiale. On ne peut pas en dire autant pour le reste de la distribution de cette production créée en 1995, reprise en 1999 et chaque fois vigoureusement rejetée par le public.

Chambrée militaire et cirque psychiatrique

Difficile, il est vrai de trouver un sens à l’univers carcéral, entre salle de gymnastique, chambrée militaire et cirque psychiatrique qui se substitue aux décors des landes et de châteaux du conte. Du gris, du noir, des cordes flottantes tombant en rangs, des passerelles baladeuses, le tout ceinturé par une galerie où se presse un chœur en frac et haut de forme faisant office de voyeurs, tandis qu’au sol et dans les airs une nuée de gymnastes en liquettes font saillir leurs muscles. Nous serions entre les cadets de Saumur et les séances du professeur Charcot à La Pitié Salpetrière indique le programme. Faut-il vraiment faire appel à ce radicalisme simpliste pour évoquer l’asservissement de la femme par l’orgueil et la virilité du mâle ? On peut en douter.

Charme et présence de Matthew Polenzani

Hormis l’incroyable Dessay les autres interprètes sont manifestement mal à l’aise, même l’excellent Ludovic Tézier qui se fige en poses amidonnées et y laisse quelques-uns uns de ses beaux graves, même la magnifique basse coréenne Kwangschul Youn qui ne sait plus trop quoi faire de son corps et se contente de faire sourdre son timbre de bronze. On est pris de compassion pur le ténor Matthew Polenzani contraint de jouer les funambules apeurés sur des échelles en pentes rapides. Il est pourtant magnifique ce jeune Américain que l’on n’avait jamais entendu à l’Opéra de Paris. Une tessiture claire, un timbre chaleureux, une projection impeccable, du charme, de la présence il est en quelque sorte la révélation de la soirée.

Le bonheur musical domine : à la baguette, le chef italien Evelino Pidò communique heureusement aux musiciens de l’orchestre de l’Opéra la vigueur la grâce et les couleurs en arc en ciel du grand Donizetti de Bergame.

Lucia di Lamermoor de Gaetano Donizetti, livret de Salvatore Cammarano d’après Walter Scott, orchestre de chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Evelino Pidò, mise en scène Andrei Serban, décors et costumes William Dudley, lumières Guido Levi.

Avec Natalie Dessay, Matthew Polenzani, Ludovic Tézier, Kwangchul Youn, Salvatore Cordella, Marie-Thérèse Keller, Christian Jean.
Opéra Bastille, les 9,13,22,25,28 septembre, 2,6,9,12 & 16 octobre à 19h30 - 08 92 89 90 90

Photo : Eric MAHOUDEAU / Opéra national de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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