Strasbourg - Opéra National du Rhin
LES TROYENS de Hector Berlioz
Le chef d’oeuvre de Berlioz en deux opéras
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- 30 octobre 2006
- Critiques
- Opéra & Classique
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C’est le deuxième départ, en à peine deux semaines, pour ce marathon lyrique que sont Les Troyens d’Hector Berlioz. Après l’Opéra National de Paris et son hommage à feu Herbert Wernicke qui naguère en avait signé la mise en scène à Salzbourg (voir webthea du 14 octobre) voici donc l’Opéra National du Rhin à Strasbourg qui, à son tour, se lance dans la course. A si peu de distance il n’est guère possible d’échapper aux comparaisons. Première constatation : alors que la production parisienne présentait une vision épurée, quasi-uniforme, des deux volets de l’œuvre, La Prise de Troie et Les Troyens à Carthage, Andreas Baesler, le metteur en scène de Strasbourg, confectionne des environnements de temps et de lieu radicalement différents d’un volet à l’autre. Autre signe distinctif : Deborah Polaski à Paris se fondait à elle seule dans les deux personnages clés que sont Cassandre et Didon, alors qu’à l’Opéra du Rhin, ce sont deux mezzo-sopranos distinctes, Sylvie Brunet et Béatrice Uria-Monzon qui les incarnent. A l’arrivée, on assiste à deux conceptions radicalement opposées : d’un côté une œuvre en continu, de l’autre, deux opéras en un seul soir..
Un cheval métamorphosé en tank
Pour Andreas Baesler qui avait réalisé il y a deux saisons une très belle Lulu de Berg dans ce même Opéra du Rhin, La Prise Troie a pour cadre les lendemains de la guerre 14/18. Quelque part près de Verdun ou de n’importe quel champ de batailles, la populace et les pious-pious de l’armée, enfermés entre les murs d’un abri de fortune redécouvrent la lumière et la liberté, mais la nature qu’ils célèbrent dans leurs chants n’est plus que ruines et arbres calcinés. Quant au cheval truqué qui scellera leur destin, le voilà métamorphosé en tank géant au canon menaçant qui avance, tous phares allumés, face au public. Effet choc garanti : ces images, en bonne adéquation avec la musique de Berlioz, font courir des frissons sur l’épiderme. L’émotion est présente soutenue par la présence hallucinée de Sylvie Brunet en infirmière des tranchées, Cassandre au timbre acide qui porte haut ses aigus prémonitoires.
Indéfrisables et Rock’n Roll
Changement radical pour Les Troyens à Carthage. Après les lendemains de la première guerre mondiale, voici ceux de la deuxième. Les années cinquante, les « happy fifties » à l’anglo-saxonne en robes du soir à manches ballon, coiffures roulées en bananes indéfrisables et rock’n roll. Didon a les allures d’une Evita Peron du désert, Iopas, son maître de cérémonie se donne la dégaine et porte les frusques d’Elvis Presley, mais quand débarquent Enée et ses copains, ceux-là ont gardé costumes et allures du temps de la première guerre. Baesler brasse trois idées à la minute, ça bouge, ça danse, on ne s’ennuie pas. Difficile cependant de trouver le fil conducteur qui lierait le naturalisme du premier volet aux effets parodiques du second. Ces Troyens si longuement portés à maturité par Berlioz qui n’en vit jamais l’intégrale, furent longtemps joués en deux soirées. Avant d’être enfin exécutés, fort récemment d’ailleurs, dans la totalité de leurs cinq actes et de leurs quatre heures de musique. Même se succédant en une soirée, Baesler les divise à nouveaux en deux opéras distincts. Dommage.
Béatrice Uria-Monzon royale en Didon
La consolation est dans la fosse et dans les voix. La générosité, la chaleur, la fine connaissance de ce romantisme latin par Michel Plasson irradie le chef d’œuvre de Berlioz, même si l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg n’est pas toujours à la hauteur de sa minutieuse passion. Le chant, défendu par une majorité de voix françaises reste inégal malgré les efforts méritoires de diction. On distingue comme une bouffée de bonheur le timbre aérien de Sébastien Droy, dans le court mais si magnifique air d’Hylas. L’Enée de Robert Chafin, timbre pâle, souffle court, frise la catastrophe, et ce sont les femmes qui, une fois de plus, mènent le navire à bon port. La Cassandre fébrile de Sylvie Brunet émeut plus qu’elle ne séduit, la Canadienne Marie-Nicole Lemieux, contralto satinée, fait entendre une Anna tendre et vigilante, plus nounou aux aguets que sœur attentionnée et Béatrice Uria-Monzon s’affirme royale en Didon, rôle avec lequel elle réalise une performance de référence. Féline, sensuelle, le timbre en fusion, la projection impeccable, elle est non seulement belle à damner tous les Troyens, tous les Romains de la terre, mais elle rayonne et bouleverse. Avec ce plus qui s’inscrit enfin dans sa carrière : une diction claire comme un matin d’été.
Les Troyens, livret et musique de Hector Berlioz d’après L’Enéide de Virgile, Orchestre Philharmonique de Strasbourg, direction Michel Plasson & chœurs de L’Opéra National du Rhin, direction Michel Capperon, mise en scène Andreas Baesler, décors Hermann Feuchter, costumes Gabriele Heimann. Avec Robert Chafin, Sylvie Brunet, Béatrice Uria-Monzon, Marie-Nicole Lemieux, Sébastien Droy, Lionel Lhôte, Cyril Rovery, François Lis, Eric Laporte, Valérie Gabail...
Strasbourg, Opéra National du Rhin, les 25,30 octobre, 2 & 9 novembre à 18h, le 5 novembre à 15h - 03 88 75 48 23 - Mulhouse, La Filature, le 19 novembre à 15h, le 21 à 18h - 03 89 36 28 28
Photographies : Alain Kaiser