Opéra National de Paris - Bastille
LES TROYENS de Hector Berlioz
La passion de Berlioz habillée haute couture
- Publié par
- 14 octobre 2006
- Critiques
- Opéra & Classique
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Cette nouvelle production du chef d’œuvre marathon de Berlioz à l’Opéra Bastille se veut avant tout un hommage au metteur en scène allemand Herbert Wernicke, l’un des talents les plus singuliers de ces cinquante dernières années, mort prématurément il y a quatre saisons à l’âge de 60 ans. De fait la version scénique de ces TROYENS a vu le jour en l’été 2000 durant le Festival de Salzbourg alors dirigé par Gérard Mortier, l’actuel directeur de l’Opéra National de Paris. Arte l’avait alors retransmis sur la chaîne culturelle franco-allemande et un DVD, toujours disponible, en a été gravé (*).
Du plateau étiré en largeur du « Grosses Festspielhaus » salzbourgeois à l’étendue un rien plus étroite de celui de Bastille, le transfert s’est fait en douceur, conférant même un peu plus de chaleur aux scènes d’intimité. Une sorte de muraille semi-circulaire ceinture un l’immense plan incliné qui occupe la scène et lui sert de sol. Le manteau d’arlequin est écarlate, tout le reste est blanc, sec et net, hormis une brèche centrale carrelée de briques rousses qui s’ouvre sur divers paysages, un bout d’avion piquant du nez, un couloir, la mer, des tentures et ce beau cheval de bois au ventre chargé de Grecs, qui passe sans s’arrêter et sans rien montrer alors qu’on aimerait tant le découvrir davantage.
Sylvain Cambreling au service des voix
Les costumes au symbolisme limpide ont des allures de tenues de soirées, robes et habits noirs griffés haute couture. Les Troyens arborent des accessoires rouges, gants, écharpes ou doublures, deux actes plus loin les Carthaginois utilisent les mêmes en bleu. L’élégance prime au détriment de la puissance d’évocation, laissant à la musique seule le soin d’enflammer les corps et les cœurs. Ce dont Sylvain Cambreling, à la tête de l’Orchestre de l’Opéra National, s’acquitte avec une sorte de probité au service des voix : tempis ralentis, tempêtes retenues, la tentation d’en faire trop avec ce romantisme qui déferle en cascades, est évitée. Au prix, il faut le dire, d’une certaine torpeur qui s’installe par-ci par-là tout au long de ces cinq heures et trente minutes de représentation (entractes compris).
La double performance de Deborah Polaski
Donc on entend les chanteurs. La gageure de la distribution repose sur la double performance de la soprano allemande Deborah Polaski, wagnérienne aguerrie, tour à tour Cassandre et Didon, les deux figures de l’éternelle femme amoureuse. Diction impeccable, présence habitée, timbre généreux et puissance vocale, hélas altérée par un vibrato qui fait cahoter ses aigus, Polaski s’investit avec un beau courage dans ce double rôle et en fait une prouesse. Jon Villars reprend le rôle d’Enée déjà chanté il y a six ans, le timbre est clair, l’engagement honnête. Si le choix de la Russe Elena Zaremba s’avère une regrettable erreur de casting (tessiture en mésalliance avec la musique de Berlioz, vibrato à décoiffer les ânes... ), la basse coréenne Kwangschul Youn, en Narbal paternel et attentif, fait merveille. Nicolas Testé, Franck Ferrari et l’adorable Gaële Le Roi apportent métier et savoir-faire sauf fausses notes.
Wernicke et les siens sont manifestement d’outre-Rhin, avec toutes les qualités de dramaturgie que cela suppose. Mais Berlioz est latin, homme de tourmente certes mais toujours homme de soleil. Ce qui manque finalement à cette version claire et efficace, c’est la petite touche de lumière du label qualité France.
Dès le 25 octobre on pourra également faire le voyage à Strasbourg où l’Opéra National du Rhin programme à son tour une nouvelle version de ces mêmes, envahissants Troyens par Michel Plasson à la baguette et Andreas Baesler à la mise en scène.
Et, pour en savoir plus sur le trop bouillonnant, trop éclectique, trop prolifique et protéiforme Hector, on peut se reporter au dictionnaire-passion que lui consacre Pierre-René Serna - « Berlioz de B à Z », riche plongée dans l’œuvre et la vie du mal aimé le plus génial de la musique française. (**)
(*) : Arthaud Musik, distribué par Intégral
(**) : (éditions Van de Velde : 20€)
Les Troyens opéra en 5 actes et 9 tableaux d’Hector Berlioz, livret du compositeur d’après l’Enéide de Virgile, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Sylvain Cambreling, mise en scène, décors, costumes et lumières de Herbert Wernicke. Avec Deborah Polaski en Cassandre et Didon ( elle sera remplacée les 17 & 24 octobre par Jeanne-Michèle Charbonnet en Cassandre et Yvonne Naef en Didon), Jon Villars en Enée (remplacé les 17 & 24 par Jon Ketilsson), Gaële Le Roi, Franck Ferrari, Nicolas Test&, Elena Zaremba, Anne Salvan, Kwangschul Youn, Eric Cutler, Philippe Fourcade, Frédéric Caton, Bernard Richter... Opéra National de Paris - Bastille les 11,15,17,21,24,28 octobre, 1,4,9,14 novembre à 18h. -
Réservations pour la France : 08 92 89 90 90. Depuis l’étranger : +33 1 72 29 35 35
Photos Eric MAHOUDEAU/ Opéra national de Paris