L’Ile des esclaves
Une farce pathétique
- Publié par
- 10 février 2005
- Critiques
- Comédie & Humour
- 4

C’est la première fois qu’Irina Brook met en scène une pièce de Marivaux. Et puisque l’on conserve encore un souvenir ému de certaines de ses précédentes productions, que ce soit Une Bête sous la lune ou La Ménagerie de verre, on est disposé à toute la bienveillance du monde envers celle qui, sans renier ses liens filiaux, mais aussi artistiques, avec son père Peter Brook, n’a pas tardé à tracer son propre chemin, à affirmer une personnalité singulière et attachante. De plus, L’Ile des esclaves, pièce en un acte et onze scènes, si elle s’appuie sur un récit d’une grande simplicité, n’en est pas moins solidement construite. C’est une allégorie poétique pleine de bons sentiments, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle soit dépourvue de lucidité. Bref, l’affiche est prometteuse. Et la déception à la mesure !
Comprendre les abus commis
Que nous raconte la pièce ? Un homme et une femme, Iphicrate et Euphrodite, échouent sur une île en compagnie de leur esclave respectif, Arlequin et Cléantis. Mais ce n’est pas n’importe quelle île. Elle est en effet le refuge de descendants d’esclaves qui s’y sont affranchis de toute dépendance sociale et entendent qu’il en soit de même pour les nouveaux venus. Leur représentant explique donc aux naufragés qu’ils vont devoir commencer par intervertir leur rôle et leurs privilèges. Ce n’est que lorsque les maîtres auront compris les abus qu’ils ont commis jusqu’alors qu’ils auront la possibilité de reprendre la mer pour s’en retourner chez eux.
S’accepter les uns les autres
Bien entendu, l’apprentissage est rude. D’autant que les esclaves devenus maîtres ont vite tendance à abuser de ce pouvoir inopiné. Ici pourtant, Marivaux se veut optimiste et bienveillant. Ces abus ne durent donc pas, les personnages comprenant que ce qu’ils ont de mieux à faire c’est de s’accepter égaux les uns et les autres. Comme par miracle, les rivalités de pouvoir se transforment ainsi en amitié. "La force des questions humaines et sociales posées par cette pièce nous frappe à chaque moment", affirme Irina Brook. C’est exact. Mais alors quel besoin a-t-elle eu d’y coller les stigmates d’une modernité aussi aléatoire que brouillonne, au point de laisser dériver sa mise en scène vers le caprice de teenager qui veut absolument faire original.
Une succession de clins d’oeils infantiles
Passe encore d’imaginer, en guise d’entrée en matière, que ses personnages sont victimes d’une catastrophe aérienne plutôt que d’un naufrage, même si cela n’apporte strictement rien au propos. Mais ce n’est que le début d’une succession de clins d’oeils infantiles, comme pour capter l’attention d’un public d’adolescents susceptibles d’être rebutés par l’idée même de voir un "classique". Tout cela en empruntant tantôt à l’univers du cirque, tantôt à des trucs et à des mimiques éculés du boulevard. Plongés dans ce fatras, les comédiens armés d’une fougue et d’un enthousiasme admirable, font ce qu’ils peuvent pour ne pas être emportés par le dérisoire. Ainsi, plus on entend le texte, plus on est consterné par ce patchwork qui tient lieu de mise en scène. Faire de cette fable poétique une farce pathétique, voilà une bien singulière performance. On attend impatiemment qu’Irina Brook retrouve le chemin de la simplicité et de l’émotion.
L’Ile des esclaves, de Marivaux, mise en scène d’Irina Brook, avec Lubna Azabal, Alex Descas, Stéphanie Lagarde, Sidney Wernicke et Fabio Zenoni. Théâtre de l’Atelier. Tél : 01 46 06 49 24.
Photo : Emmanuel Robert Espalieu