Kingdom d’Anne-Cécile Vandalem
Deux communautés s’affrontent au tréfonds de la taïga sibérienne.

Quelques arbres, une maisonnette posée au bord de la rivière, une clôture en bois... C’est tout un paysage qui s’est installé sur la scène des Ateliers Berthier. La vie semble paisible au tréfonds de la taïga où vaque une famille peuplée de nombreux enfants et des chiens qui gambadent en liberté. Trois générations d’une même lignée sont rassemblés là, apprend-on au fil du récit, conduites dans les années 70 par celui qui est devenu le patriarche barbu pour échapper à l’emprise de la civilisation destructrice. Il s’agissait alors de vivre dans et de la nature protectrice et nourricière mais aussi hostile et dangereuse pour qui ne sait pas l’apprivoiser. Soudain, l’harmonie de ce royaume idyllique est rompu par des vrombissements assourdissants surgis d’en haut, ce sont des hélicoptères qui rôdent dans les parages venus pour piller les réserves de la forêt et menacer la survie de la communauté. Avec cette intrusion et les complicités que cela suppose dans les parages tout va basculer...
Après Tristesses et Arctique, Kingdom est le troisième et dernier volet de la trilogie consacrée par Anne-Cécile Vandalem à l’impossibilité du futur, tous présentés au Festival d’Avignon. Comme les précédentes, la pièce allie théâtre, cinéma et musique mais il s’agit ici plus spécifiquement de mettre en évidence l’opposition entre deux systèmes de croyances, l’une matérialiste et consumériste, l’autre spiritualiste et animiste. Le point de départ en a été le film de Clément Cogitore, Braguino (2017), qui documentait la vie d’une communauté de vieux-croyants réfugiée dans la forêt sibérienne et jetée dans la guerre par l’arrivée d’un autre groupe.
Sur scène, les séquences d’extérieur alternent avec des portraits filmés en direct dans l’intimité de la maison et projetés sur un écran géant au-dessus du plateau. Peu à peu, les membres de la tribu se découvrent, évoquent leurs souvenirs, racontent leur présent et leur futur de moins en moins prévisible. La musique joue un grand rôle, composée à partir d’éléments concrets de la scénographie qui sont sonorisés (eaux qui goutte, volet qui claque, bruissement des arbres …), traités et réinterprétés en direct avec des percussions par deux musiciens au fond du plateau. Des très beaux chants en solo ou collectifs dans une langue qu’on suppose être le russe ponctuent le récit, soulignant les principales péripéties.
Les enfants au premier plan
Avec un mélange de naturalisme et d’onirisme, la pièce place les enfants au premier plan, enjeu des luttes qui se profilent. Ces enfants sont comme aimantés par la communauté invisible qui vit de l’autre côté de la clôture et dont ils épient les faits et gestes. En fait, apprend-on, ces sont leurs cousins avec au départ une ancêtre commune. Au fil du temps, les relations se sont dégradées et on en est maintenant à la haine, l’utopie des adultes s’est fracassée contre le mur des convoitises humaines.
Moyennant une scénographie très sophistiquée et des moyens conséquents, Kingdom, thriller familial, conte naïf et parabole écologique, n’échappe pas à une vision idéologique, manichéenne, et pour tout dire simpliste des rapports sociaux. Avec des effets spectaculaires et des acteurs qui ont tendance à surjouer les émotions.
Photo : Christophe Engels
Kingdom aux Atliers Berthier jusqu’au 19 février, www.theatre-odeon.eu
Avec Arnaud Botman, Laurent Caron, Philippe Grand’Henry, Épona Guillaume, Zoé Kovacs. Les enfants (en alternance) : Juliette Goossens / Ida Mühleck, Léa Swaeles / Léonie Chaidron, Daryna Melnyk/Eulalie Poucet, Isaac Mathot / Noa Staes.
Dramaturgie : Sarah Seignobosc. Composition :Vincent Cahay, Pierre Kissling. Scénographie : Ruimtevaarders. Lumière : Amélie Géhin. Son : Antoine Bourgain. Vidéo : Frédéric Nicaise. Direction de la photographie : Federico D’Ambrosio. Costumes : Laurence Hermant. Caméra : Federico D’Ambrosio, Leonor Malamatenios.
Tournée : 2 et 3 mars, Teatros del Canal, Madrid. 31 mars et 1er avril, Teatre Lliure, Barcelone.