Théâtre des Champs Elysées (Paris)

Don Giovanni

Un Don Juan en panne

Don Giovanni

Sur un matelas posé à même le sol, Donna Anna se pâme dans les bras d’un Don Giovanni au nez chaussé d’un petit masque de carnaval. Le Commandeur vient interrompre les ébats du couple. Mal lui en prend, l’amant lui plante un couteau dans le ventre et planque son cadavre dans l’armoire. Une armoire qui, un acte plus loin, en fin de parcours, s’enflamme des feux d’un enfer de foire foraine d’où le débauché puni sort indemne et goguenard. Faire dire à une œuvre exactement le contraire de ce qu’elle signifie, est-ce un acte créateur ou le signe d’une drôle de panne d’inspiration ? Du metteur en scène André Engel dont on a aimé et vanté tant de réalisations au théâtre comme à l’opéra on pouvait espérer autre chose que cette balade indolente et insipide dans l’Italie des années twist où il a transplanté le chef d’œuvre de Mozart.

Après l’électrochoc de la mise en scène noir d’encre de Michael Haneke au Palais Garnier, il était difficile, il est vrai, de lui trouver un équivalent en force de conviction et de cohérence. Le défi ne fut même pas relevé puisque cette nouvelle production du Théâtre des Champs se contente de reprendre une réalisation rodée il y a dix ans à Lausanne et déjà reprise à Bordeaux. Si pour Haneke le « giocoso » du sous-titre était évacué au profit du « dramma » de tragédie, la part joyeuse aurait pu être le fil rouge de l’interprétation d’Engel. Il n’en est que le bout de ficelle qui tente de relier le mythe de l’opéra des opéras à celui d’un certain cinéma désinvolte des années soixante.

Sans le moindre charme

Dans les décors pour une fois sans grâce de Nicky Rieti - palais en ruine, bar de bord de plage - Don Giovanni y devient une sorte de bellâtre pour Club Med des rives de l’Adriatique et Lucio Gallo se coule dans cette médiocrité sans lui apporter le moindre charme, ni la plus petite once de la vertigineuse fascination que le personnage exerce depuis des siècles sur notre imaginaire. Lorenzo Regazzo qui fut récemment le Figaro roublard des Noces mozartiennes revues par Christoph Marthaler tire son épingle du jeu par un aplomb vocal sans faille mais semble étrangement livré à lui-même comme si son seul partenaire était l’appareil photo avec lequel il flashe les frasques de son maître. Patrizia Ciofi peine à trouver les aigus ravageurs de Donna Anna, dont elle ne possède ni la force ni le velouté. La Donna Elvira de la soprano Alexandrina Pendatchanska bredouille un italien approximatif et projette une ligne de chant aussi pincée que son allure de petite bourgeoise en goguette. Le Don Ottavio de Francesco Meli sort avec prestance son personnage de son rôle d’amoureux transi bien brave. Ses moyens dépassent de loin ce que l’on en attend généralement mais ils sonnent davantage belcantistes que mozartiens. La bonne surprise de la soirée vient finalement de la fraîcheur, l’allant et le legato joli d’Anna Bonitatibus, Zerlina piquante et pimpante à souhait. Le Concerto Köln, dans la fosse, avec ses instrumentistes baroqueux pur jus ne semble pas toujours à l’aise avec la direction moderne et aérée d’Evelino Pidò qui lui confère ici ou là une sorte de laisser-aller paresseux. Comme si l’orchestre se trouvait lui aussi en vacances.

Don Giovanni de W.A. Mozart et Lorenzo Da Ponte, Concerto Köln et chœur du Théâtre des Champs Elysées, direction Evelino Pidò, mise en scène André Engel, décors Nicky Rieti, avec Patrizia Ciofi, Lucio Gallo, Giovanni Baptista Parodi, Francesco Meli, Alexandrina Pendatchanska, Lorenzo Regazzo, Alessandro Luongo, Anna Bonitatibus - Théâtre des Champs Elysées à Paris - les 15,17,19,21 & 23 juin à 19h30 - 01 49 52 50 50.

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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1 Message

  • > Don Giovanni 23 juin 2006 07:50, par Jacques Schmitt

    Pour avoir assisté à la production de ce Don Giovanni à Lausanne, il y a quelques années, peut-être serez-vous intéressé par la critique que j’avais fait paraître dans le "Nouveau Quotidien" de Lausanne en 1998 (?), avis contraire à celui exposé dans l’article paru dans vos lignes.

    « Don Giovanni » tient ses promesses.

    Accueil triomphal à la nouvelle production de « Don Giovanni » de Mozart du Théâtre Opéra de Lausanne à Mézières.

    N’ayez crainte, Mesdames, Don Giovanni séduit encore. Il n’a pas changé de caractère. Séducteur incontournable, toujours superbe, distant, noble, spirituel, moqueur et dur. Jusqu’à la méchanceté.
    Dans sa mise en scène, André Engel accentue à souhait, à l’exaspération même, cette image d’un personnage qu’on voudrait agréable parce qu’il séduit. Celui à qui on pardonne tout, parce qu’à un moment, on a pu croire qu’il nous avait vraiment aimé.
    Le « Don Giovanni » de Mozart, nouvelle production de l’Opéra de Lausanne, surprend le spectateur en le plongeant, dès la première scène, dans le vif du sujet.
    Une chambre aux murs rongés par l’humidité marine. Leporello, le valet, prend quelques photographies de son patron, Don Giovanni, couché avec sa dernière conquête. Elles figureront au catalogue des femmes séduites par le Maître. Survient le Commandeur soucieux du sort de sa fille. Une rixe éclate. Il meurt, assassiné comme dans les plus grand-guignolesques films noirs. Traînant le corps du Commandeur pour le cacher dans une armoire, Don Giovanni et son valet continuent leur conversation, au travers du récitatif, de la manière la plus naturelle qui soit.
    Cette symbiose du geste, de l’action, du contexte musical mozartien exige une direction scénique rigoureuse. André Engel utilise ses chanteurs avec ce qu’ils ont théâtralement de mieux à donner. Entreprise réussie puisque, tout au long de l’opéra, la part de la musique et du théâtre se confondent.
    La transposition des personnages dans l’Italie des années 60 révèlent des chanteurs aux incroyables dons d’acteurs. Ainsi, Michele Pertusi (Don Giovanni) dandy prisonnier de son costume neuf, Alessandro Corbelli (Leporello) à la gestuelle italienne si expressive, Marie McLaughlin (Donna Elvira) riche amoureuse aux gestes de colère et de désespoir démesurés, et Donald George (Don Ottavio) très touchant étudiant propret se croyant promis à une Alexandrina Pendatchanska (Donna Anna) indifférente à ses avances.
    De l’impressionnate voix d’outre-tombe d’Andrea Silvestrelli (Il Commendatore) à la fraîcheur de celle de Francesca Provvisionato (Zerlina), chaque chanteur campait son personnage avec justesse. Dignité même. A l’image de Marie McLaughlin souffrante. Alors que son indisposition était manifeste, elle a assumé sa participation avec un professionalisme qui mérite l’éloge.
    Le public a étrangement plus applaudit la puissance vocale d’Alexandrina Pendatchanska que la subtilité du timbre et de la phrase de Michele Pertusi ou de l’étonnant et très beau Donal George. Quelques mouvements d’humeur à l’encontre du metteur en scène André Engel, comme si ce savoureux spectacle était l’unique fruit du chant. A noter encore, l’excellent Orchestre de Chambre de Lausanne et la direction intelligente et sensible de Jesus Lopez-Cobos à qui les applaudissements du public semblent être envoyés plus par sympathie lausannoise que pour l’immense talent qui le caractérise.

    « Don Giovanni » de Mozart, avec Michele Pertusi, Alessandro Corbelli. Théâtre du Jorat, Mézières. Les 4, 6, 11 et 13 septembre à 19h et le 8 septembre à 17h. Rés. 021/310 16 00 ou Billetel.

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