Théâtre des Champs Elysées (Paris)
Don Giovanni
Un Don Juan en panne
- Publié par
- 21 juin 2006
- Critiques
- Opéra & Classique
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Sur un matelas posé à même le sol, Donna Anna se pâme dans les bras d’un Don Giovanni au nez chaussé d’un petit masque de carnaval. Le Commandeur vient interrompre les ébats du couple. Mal lui en prend, l’amant lui plante un couteau dans le ventre et planque son cadavre dans l’armoire. Une armoire qui, un acte plus loin, en fin de parcours, s’enflamme des feux d’un enfer de foire foraine d’où le débauché puni sort indemne et goguenard. Faire dire à une œuvre exactement le contraire de ce qu’elle signifie, est-ce un acte créateur ou le signe d’une drôle de panne d’inspiration ? Du metteur en scène André Engel dont on a aimé et vanté tant de réalisations au théâtre comme à l’opéra on pouvait espérer autre chose que cette balade indolente et insipide dans l’Italie des années twist où il a transplanté le chef d’œuvre de Mozart.
Après l’électrochoc de la mise en scène noir d’encre de Michael Haneke au Palais Garnier, il était difficile, il est vrai, de lui trouver un équivalent en force de conviction et de cohérence. Le défi ne fut même pas relevé puisque cette nouvelle production du Théâtre des Champs se contente de reprendre une réalisation rodée il y a dix ans à Lausanne et déjà reprise à Bordeaux. Si pour Haneke le « giocoso » du sous-titre était évacué au profit du « dramma » de tragédie, la part joyeuse aurait pu être le fil rouge de l’interprétation d’Engel. Il n’en est que le bout de ficelle qui tente de relier le mythe de l’opéra des opéras à celui d’un certain cinéma désinvolte des années soixante.
Sans le moindre charme
Dans les décors pour une fois sans grâce de Nicky Rieti - palais en ruine, bar de bord de plage - Don Giovanni y devient une sorte de bellâtre pour Club Med des rives de l’Adriatique et Lucio Gallo se coule dans cette médiocrité sans lui apporter le moindre charme, ni la plus petite once de la vertigineuse fascination que le personnage exerce depuis des siècles sur notre imaginaire. Lorenzo Regazzo qui fut récemment le Figaro roublard des Noces mozartiennes revues par Christoph Marthaler tire son épingle du jeu par un aplomb vocal sans faille mais semble étrangement livré à lui-même comme si son seul partenaire était l’appareil photo avec lequel il flashe les frasques de son maître. Patrizia Ciofi peine à trouver les aigus ravageurs de Donna Anna, dont elle ne possède ni la force ni le velouté. La Donna Elvira de la soprano Alexandrina Pendatchanska bredouille un italien approximatif et projette une ligne de chant aussi pincée que son allure de petite bourgeoise en goguette. Le Don Ottavio de Francesco Meli sort avec prestance son personnage de son rôle d’amoureux transi bien brave. Ses moyens dépassent de loin ce que l’on en attend généralement mais ils sonnent davantage belcantistes que mozartiens. La bonne surprise de la soirée vient finalement de la fraîcheur, l’allant et le legato joli d’Anna Bonitatibus, Zerlina piquante et pimpante à souhait. Le Concerto Köln, dans la fosse, avec ses instrumentistes baroqueux pur jus ne semble pas toujours à l’aise avec la direction moderne et aérée d’Evelino Pidò qui lui confère ici ou là une sorte de laisser-aller paresseux. Comme si l’orchestre se trouvait lui aussi en vacances.
Don Giovanni de W.A. Mozart et Lorenzo Da Ponte, Concerto Köln et chœur du Théâtre des Champs Elysées, direction Evelino Pidò, mise en scène André Engel, décors Nicky Rieti, avec Patrizia Ciofi, Lucio Gallo, Giovanni Baptista Parodi, Francesco Meli, Alexandrina Pendatchanska, Lorenzo Regazzo, Alessandro Luongo, Anna Bonitatibus - Théâtre des Champs Elysées à Paris - les 15,17,19,21 & 23 juin à 19h30 - 01 49 52 50 50.