Cosi fan tutte

Badinage tragique des jeux de l’amour

Cosi fan tutte

Fallait-il que la déception fût cuisante au Festival d’Aix en Provence pour que les critiques les plus sévères s’adoucissent lors de la transposition au Palais Garnier de cette nouvelle production du Cosi fan tutte de Mozart par Patrice Chéreau. La sécheresse de Daniel Harding à la tête du Mahler Chamber Orchestra semble avoir grandement irrité les oreilles aixoises. Appelé à Paris à diriger l’Orchestre National de l’Opéra, le même chef, flanqué apparemment des mêmes manies, rencontra une telle résistance de la part des musiciens qu’il dut rendre tablier et baguette. Pour être remplacé par l’Autrichien de Salzbourg Gustav Kuhn, un familier de Mozart, une valeur sûre.
Pour qui n’a pas assisté au naufrage aixois, la perplexité reste néanmoins grande face à cette réalisation sans vrai parti pris dramaturgique. De la part d’un novateur comme Chéreau, cette absence déroute plus qu’elle ne dérange. Le scénario imaginé par Lorenzo da Ponte est connu : à Naples, deux jeunes hommes acceptent, à l’instigation d’un vieux sceptique, de parier cent sequins sur la fidélité de leur fiancée. Le stratagème mis en place par le roué bonhomme fait basculer les belles dans le piège. Cosi fan tutte... toutes pareilles, triomphe l’auteur de la ruse. Ainsi, moralité oblige, chacun retrouvera quand même sa chacune mais plus rien ne sera comme avant. Il faudra bâtir son couple, sa vie sans illusions. Tragique badinage des jeux de l’amour...

Vieux subterfuge de théâtre dans le théâtre

Est-ce l’ambiguïté, la fragilité de l’anecdote, ses faux airs de marivaudage ou son mortel jeu de dupes qui ont bridé l’imagination si volontiers débordante de Chéreau ? Allez savoir... Pourquoi diable, au café napolitain où les trois hommes se rencontrent et décident de leur pari, au jardin du bord de mer où se détendent les deux sœurs, a-t-il substitué le décor des coulisses d’un théâtre, avec machinerie poussiéreuse, murs sales suintant le salpêtre et un extincteur d’incendie visiblement d’aujourd’hui ? Vieux, vieux subterfuge de théâtre dans le théâtre quand manifestement on ne sait pas par quel bout attraper la bête... Et ce système tant de fois usé qu’il en devient éculé, de faire arriver les protagonistes par la salle... Le subterfuge, il est vrai, met de la vivacité dans cette première scène somme toute très statique. Elle serait d’autant plus joliment enlevée si elle n’était plombée par la laideur du décor de Richard Peduzzi pour la première fois en panne de beauté.
Reste la direction d’acteurs, art dans lequel Chéreau, au théâtre, au cinéma tout comme à l’opéra, compte parmi les maîtres. Son savoir-faire, sa subtilité des comportements a largement profité aux interprètes des deux jeunes couples englués malgré eux dans un jeu de dupes tandis que le deus ex machina et son adjointe, la servante, restent sur la touche.

Les jeunes tessitures graves

Ruggero Raimondo/Don Alfonso, a perdu la superbe du Don Giovanni naguère filmé par Losey qui le rendit célèbre, la voix n’a plus le même éclat et son jeu caricatural pèse lourd. En panne également Barbara Bonney, méconnaissable en Despina sans humour, sans abattage et presque sans voix. La palme revient aux jeunes tessitures graves, celle de la ravissante mezzo Elina Garanca, Dorabella irrésistible et celle de notre baryton Stéphane Degout qui en Guglielmo bondissant, éperdu, confirme qu’il est l’un de nos meilleurs espoirs. Shawn Mathey compose un Ferrando convaincant, au timbre encore un peu vert tout comme la soprano Erin Wall, Fiordiligi aux graves parfois incertains, mais à l’allure, et aux aigus pleins de charme. Gustav Kuhn tutoie Mozart sans se poser trop de questions. Il joue la clarté, le naturel, l’allégresse sans précipitation, la mélancolie sans emphase. Au service de Mozart.

Cosi fan tutte de Mozart, livret de Lorenzo Da Ponte, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction Gustav Kuhn, mise en scène Patrice Chéreau, décors Richard Peduzzi, lumières Bertrand Couderc, avec Elina Garanca, Erin Wall, Stéphane Degout, Shawn Mathey, Ruggero Raimondi, Barbara Bonney - Opéra National de Paris - Palais Garnier, les 12,15,18,21,26,29 septembre, 5,7,10,13,15 octobre à 19h30. Réservations : 0 892 89 90 90.

Photo : Ros Ribas

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook