Opéra National de Paris - Bastille

Cardillac

L’assassin est un orfèvre

Cardillac

A découvrir d’urgence : Cardillac de Paul Hindemith qui vient de faire son entrée dans le répertoire de l’Opéra National de Paris. Une heure trente de suspens bousculé par une musique en rupture avec les traditions romantiques ou post-wagnériennes, une mise en scène finement cinématographique soutenue par des décors et des costumes de toute beauté.
Cardillac a vu le jour à Berlin en 1926. Plus grand symphoniste qu’homme d’opéra, Paul Hindemith, son auteur, venait de composer ce singulier opus lyrique où la musique se veut entité à part entière, débarrassée de toute fonction illustrative. Larguant en quelque sorte dans les poubelles de l’expressionnisme toute guimauve sentimentale ou émotion tire-larmes. Avec des références au sérialisme qui lui valurent d’être qualifié de musicien dégénéré par les nazis puis banni du régime. Autant de données que l’on peut décoder sans peine dans ce Cardillac dont le sujet fut inspiré par l’un des Contes Fantastiques de E.T.A. Hoffmann, Fraulein von Scuderi - (Mademoiselle de Scudéry).

Temps glorieux du cinéma muet et des romans populaires

C’est l’histoire d’un joaillier de génie qui assassine ses clients pour récupérer les chefs d’œuvre dont il revendique la paternité et sans lesquels il ne peut vivre. Conférant par là-même au meurtre le statut d’œuvre d’art. Cela se passe à Paris au XVII° siècle, mais André Engel a eu la bonne idée d’en transposer les péripéties dans les années vingt du vingtième siècle, années où Cardillac fut composé, années folles de créativité tous azimut, temps glorieux du cinéma muet et des romans populaires dont le metteur en scène a tiré le suc. M le Maudit et Fantômas parrainent en filigrane sa production. C’est en couleurs mais tout se passe mentalement en noir et blanc. Engel et Rieti, son décorateur de toujours, ont créé une sorte d’unité de lieu répartie en quatre tableaux qui changent en un temps record, l’espace de quelques mesures, rideau baissé : le hall d’un palace qu’on imagine place Vendôme, chef lieu de la bijouterie parisienne, la chambre d’une cliente somnambule, le riche atelier du joaillier, installé sous les toits, enfin les toits eux-mêmes, superbe perspective sur la nuit de Paris où l’assassin en cape noire et haut de forme traque sa dernière victime.

Le frémissement des cordes et la clarté des vents dominants

L’austérité naturelle du chef Kent Nagano, sa « distanciation » par rapport à l’œuvre comme on dit au théâtre s’agissant de Bertolt Brecht, sied parfaitement à l’écriture de Hindemith dont il fait ressortir le frémissement tendus des cordes et la clarté des vents dominants, avec leurs duos de flûtes s’élançant presque guillerets par-dessus les actes criminels. Une distribution de tout premier ordre complète ce parcours sans faute : le baryton-basse américain Alan Held, carrure de géant, timbre noir d’encre, campe un Cardillac saisissant, Angela Denoke, actrice et cantatrice, présence forte et voix au legato sensible, rend subtilement compte du désarroi de la fille du joaillier-meurtrier tandis que le ténor anglais Christopher Ventris impose panache vocal et autorité scénique dans le rôle du fiancé. Quant au chœur, se mouvant en chorégraphies quasi permanentes, aux prises avec ces sonorités déconcertantes, il se montre une fois de plus, impeccable.

Cardillac de Paul Hindemith, livret de Ferdinand Lion, d’après Das Fraulein von Dcuderi, de E.T.A. Hoffmann, orchestre et chœurs de l’Opéra National de Paris, direction musicale Kent Nagano, mise en scène André Engel, décors Nicky Rieti, costumes Chantal de La Coste Messelière, lumières André Diot, avec Angela Denoke, Alan Held, Christopher Ventris, Hannah Esther Minutillo, Roland Bracht, Stephen Gadd, Charles Workman. Opéra Bastille, les 24,28 septembre, 1er,8,11,14,17,20 octobre à 20h.

Photo : Eric Mahoudeau

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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