Du 30 janvier au 9 février 2024 au Théâtre13/Bibliothèque.

Les Consolantes de Pauline Susini - Les Vingtièmes Rugissants

Des récits, entre documents et fictions, pour une re-fondation collective.

Les Consolantes de Pauline Susini - Les Vingtièmes Rugissants

Partant des entretiens intimes des témoins du 13 novembre 2015, collectés par l’Institut d’Histoire du Temps présent - IHTP-, CNRS, pour l’enquête engagée sur l’événement et sa mémoire, en lien avec le procès, Pauline Susini explore les consolations et les reconstructions intimes et collectives, huit ans après les attentats, contribuant ainsi à la fabrique d’une mémoire via la fiction théâtrale.
« … J’ai été confrontée aux mots, aux voix, ainsi qu’aux récits de témoins et de survivants, et j’ai suivi une partie du procès… La fiction relève de la réalité documentaire de ces témoignages et du procès. La forme théâtrale participe du travail de réception collective, de transmission de matériaux d’une histoire commune. La mort, la souffrance, la perte, le retour à la vie nous questionnent et nous concernent tous. »

La représentation s’installe dans un espace blanc immaculé - des bâches claires couvrent le sol, les tables, les chaises, univers aseptisé, mausolée où l’on se déplace avec douceur et précaution, respectant le silence du lieu - lieu de retrouvailles entre les vivants, les survivants et les défunts. Les comédiens patients attendent sur scène et sur le bord où le public a investi quelques chaises.

Les interprètes passent en glissant d’un rôle à l’autre, d’une situation de victime à celle de parent ou d’ami de la victime, à celle de médecin ou même de témoin qui frôle encore le statut de victime.

Nicolas Giret-Famin joue les maîtres de cérémonie, sorte de Monsieur Loyal stylé et réservé dont l’aisance à se déplacer et la danse même le caractérisent, accueillant les spectateurs en souriant.
Il sera plus tard une victime éprouvée gisant sur un lit d’hôpital anonyme ou bien un homme qui renonce à obtenir des indemnisations supplémentaires, après un dossier laborieusement monté et clos. Comment se re-construire, accomplir une hypothétique résilience, et trouver sa consolation ?

Noémie Develay-Ressiguier a ouvert la danse, racontant comment sa soeur et elle-même, depuis Melun, aimaient à se rendre à Paris pour vivre la capitale festive au plus près. Pour un anniversaire, elles allaient ce soir-là dîner au Petit Cambodge… Elle est victime encore quand, lycéenne, échappée du Bataclan par miracle avec sa copine, elle retourne au lycée le lundi, non touchée en apparence durant trois semaines, avant de ne plus pouvoir se lever de son lit, un matin, effondrée d’avoir côtoyé la mort, le sang, les corps meurtris et l’odeur de poudre des armes.

Elle est aussi épouse de victime soutenant le mari afin qu’il se batte pour ses droits ; puis médecin, avocate, elle est même défunte et se met en colère quand elle voit qu’on n’honore pas sa mémoire avec suffisamment d’apparat. L’interprète est soit enfantine, soit mature, toujours juste et précise.

Sébastien Desjours est le père d’un enfant défunt et mari dont la conjointe participera au procès, alors que lui-même s’oppose à cette présence à l’événement qui ne fait que l’endolorir en mettant ses plaies psychologiques à vif : il préfère faire le deuil seul et isolé. Il est encore, entre autres, un survivant ou un vivant, lisant un livre, que son ami défunt, couvert d’or et de scintillements, tel un dieu de la mythologie grecque, vient visiter depuis la mort et la mémoire qui demeure en chacun.

Et Sol Espeche incarne l’épouse qui veut comparaître au procès pour se sentir appartenir à l’Histoire collective qui l’a éprouvée dans la perte du fils - il manque le mot pour désigner le parent dans le deuil de son enfant. La mère veut prendre la réalité à bras-le-corps sans esquive. D’un rôle à l’autre, elle fait montre, comme ses partenaires, d’une sensibilité à fleur de peau, d’une présence intense au personnage incarné et respecté, quel qu’il soit, dans la reconnaissance et la dignité.

Dans cette succession de situations, plus ou moins dramatiques, plus ou moins solaires, une tempête mythologique ou contemporaine s’invite sur la scène, mettant en bas les corps renversés ; l’effondrement et emportement des éléments fait table rase du plateau, sinon les bâches en boule.

Sur un sujet particulièrement délicat que tous appréhendent avec soin et rigueur, le spectacle Les Consolantes fait mouche par tant de respiration apportée à l’intérieur de la tragédie même, aérant la gravité du propos par un jeu de perspectives et de mises en lumière, faisant de la mort une donnée incontournable de la vie avec laquelle on se familiarise avec le temps, acceptant enfin cette « consolation », la condition existentielle de notre plein éveil et de notre présence au monde.

Avec une pluie de neige/confettis dorés et argentés qui déposent leur baume délicat sur les âmes.

Les Consolantes, texte et mise en scène de Pauline Susini - Compagnie Les Vingtièmes Rugissants,. Avec Noémie Develay-Ressiguier, Sébastien Desjours, Sol Espeche et Nicolas Giret-Famin. Scénographie Camille Duchemin, costumes Clara Hubert, création sonore Loïc Le Roux, création lumière César Godefroy. Du 30 janvier au 9 février 2024, du lundi au vendredi 20h, le samedi 18h, relâche le dimanche, Théâtre 13 - site Bibliothèque 30, rue du Chevaleret 75013 - Paris. theatre13.com. Du 29 février au 2 mars 2024, Anis Gras, Arcueil (Val-de-Marne). Le 16 mars 2024 l’ECAM, Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne).
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

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Véronique Hotte

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