Du 31 janvier au 10 mars 2024 au Vieux-Colombier/Comédie-Française.

Le Silence de Guillaume Poix et de Lorraine de Sagazan par celle-ci.

Recherches et errances d’un spectacle sans paroles pour "dire mieux".

Le Silence de Guillaume Poix et de Lorraine de Sagazan par celle-ci.

Guillaume Poix et Lorraine de Sagazan ont trouvé, s’agissant de l’oeuvre d’Antonioni, un synopsis jamais tourné, Le silence, dans lequel le réalisateur détaille l’idée d’un film qui raconterait l’histoire de « deux époux qui n’ont plus rien à se dire », le silence entre ces deux êtres fait la matière de la fiction, d’où le texte théâtral hybride qui en est résulté, composé de paroles silencieuses, monologues intérieurs, notations didascaliques, mêlant le document et le poème, le récit…

Le silence en général est pensé comme l’absence de bruits et de sons, mais cette absence se laisse souvent définir par son contraire - bruits naturels, sons des voix, langage, artifices sonores de la musique. Et l’absence de sons - ou le silence - est considérée comme supérieure en vertu, même si ces mêmes bruits, sons, voix représentent aussi la vie qui va et son cours inépuisable.

Les pouvoirs du silence fraient avec les arts du son et de la parole, non avec les arts du silence - dessin, peinture, cinéma muet, photographie. Le silence joue de la musique, du théâtre, de la radio ; à côté du son, de la voix, des bruits, il construit. D’une unicité de façade, il s’oppose à la pluralité des sons, bruits, voix, et joue son rôle : structure et ornement de la musique baroque, ou mise en lumière de l’attente, de l’angoisse, de l’apaisement, de l’émotivité dans la musique romantique.

Le silence ne peut se comparer à la parole articulée faite de signes pour communiquer, mais se taire ne suffit pas pour instaurer le silence qui est plutôt une une discipline morale. Le silence intérieur investit la fresque des représentations, des images et des voix intimes en soi - le décor d’un monologue intérieur infini, dévolu aussi à la contemplation et au « ravissement » de l’âme.

Par rapport à la parole bavarde, le silence humain est une stratégie de communication, une prudence, une discrétion, une façon de protéger les sentiments éprouvés que la parole dilapide.
En ramenant le silence à une précaution orale ou gestuelle, destinée à ne pas éveiller l’attention, à se protéger d’un danger, on accorde de manière illogique le caractère de silence à la parole douce, au murmure. Or, le silence peut être cris, fracas, hurlements et violences extraverties contenues.

Le jeu des interprètes du Silence - les acteurs investis et pleinement engagés dans ce processus exceptionnel : Julie Sicard, Stéphane Varupenne, Marina Hands, Noam Morgenztern, Baptiste Chabauty, prend appui sur un patchwork de monologues intérieurs, de fragments poétiques ou de souvenirs. Le dispositif bi-frontal place le public au plus près de visages, des corps, d’une multitude de détails, d’objets et d’accessoires. Des images en noir et blanc tournées simultanément, évoquent l’intériorité des personnages dans une perception pluridimensionnelle.

« Opérer une conversion, tel est le projet audacieux et inédit de Guillaume Poix et de Lorraine de Sagazan, le dévoilement d’un rapport autre à la vérité, le sens s’insinuant dans les gestes, sensations, infimes détails de l’incarnation. » S’inspirant de films et d’écrits d’Antonioni, la pièce contient ses leitmotiv - la disparition, la déréliction des sentiments et l’instabilité de la perception.

Tout tourne autour de la mort d’un enfant noyé au bord de la mer, une perte dont les protagonistes - parents et amis - ne peuvent se remettre, tant la douleur profonde est à la fois indicible et expressive à travers les mouvements, les postures, les allées et venues et les gestes fébriles.

Manifeste sur l’expressivité du silence, Le Silence se veut une expérience sensible - proximité et intimité -, une représentation qui se rapprocherait davantage d’une performance, comme si les personnages d’un film étaient subrepticement descendus sur la scène d’un théâtre, et que le public les voyait vivants auprès de lui, pouvant presque les toucher. Baptiste Chabauty scrute les spectateurs, station debout tout au long du spectacle, surveillant, invoquant, sollicitant l’attention.

Or, le temps de l’image et du cinéma n’est pas celui du théâtre, qui accorde toute la résonance souhaitée au rayonnement de l’acteur à travers le verbe sonore - art vif de dire et de ressentir.

Le Silence de Guillaume Poix et de Lorraine de Sagazan, d’après l’oeuvre d’Antonioni, scénographie Anouk Maugein, costumes Suzanne Devaux, lumières Claire Gondrexon, vidéo Jérémie Bernaert, musique originale et son Lucas Lelièvre, collaboration artistique Romain Cottard. Avec Julie Sicard, Stéphane Varupenne, Marina Hands, Noam Morgenztern, Baptiste Chabauty, et le chien Miki, avec la voix de Nicole Garcia. Du 31 janvier au 10 mars 2024 au Théâtre du Vieux-Colombier 21, rue du Vieux-Colombier 75006. Tél: : 01 44 58 15 15, comedie-francaise.fr

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

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Véronique Hotte

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