Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye par Blandine Savetier.

L’icône emblématique retrouvée d’une artiste noire fulgurante.

Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye par Blandine Savetier.


Une universitaire veut écrire un roman sur Maria Martinez, chanteuse cubaine du XIX è siècle surnommée la « Malibran noire », à la célébrité éphémère et qui fit l’expérience du racisme colonial à Paris, avant de disparaître dans la misère. L’enseignante est approchée en même temps par une mystérieuse artiste noire, Marie Sachs, qui se dit liée avec la chanteuse disparue.

Entre l’enseignante blanche privée d’inspiration et l’artiste noire, fantasque, qui s’imagine réincarner Maria Martinez, se noue une relation de fascination et de rejet. Blandine Savetier met en scène ce texte de Marie NDiaye, commandé pour l’exposition « Le Modèle Noir » au Musée d’Orsay en 2019, récit abyssal sur l’incarnation et l’appropriation par des créateurs d’une disparue.

Avec pour inspiration initiale, les photos de Nadar qui a photographié, dans les années 1850/1860, Maria L’Antillaise, pressentie comme la vraie chanteuse lyrique Maria Martinez : la source même d’une écriture aux ombres moirées et aux couleurs passées - des fulgurances de rêves de femme.

Soit un jeu amusé mais fondateur de quatre coins où miroiteraient les reflets chatoyants de silhouettes scéniques inédites, mythiques ou contemporaines : non seulement Maria Martinez en son temps, à la fois Maria L’Antillaise, et la narratrice qui écrit aujourd’hui, incarnée par la chanteuse lyrique et inventive Natalie Dessay, sans oublier Marie Sachs encore avec laquelle celle-ci converse, mais aussi Greg Duret, le musicien-compositeur et DJ en live sur le plateau.
Les deux figures de La Malibran noire et de l’artiste Marie Sachs sont comme dédoublées, apparitions et disparitions incarnées par l’élégance svelte de la chorégraphie de Nancy Nkusi.

« Quand on est métisse, on est toujours entre les deux et on se sent légitime pour tout évoquer. »

Marie NDiaye évoque « le parcours incroyable d’une gamine née et élevée dans les conditions les plus dures, qui se retrouve sur les scènes parisiennes mais reste quand même toujours la Noire, qu’on surnomme la Malibran noire, à la fois adulée et critiquée d’une manière abjecte – sur son physique, sur le fait que les belles robes ne sont pas faites pour ce genre de visage et de corps. Elle a subi des propos ignobles mais, malgré tout, a aussi été aimée et reconnue dans son art ».

Deux figures importent : la narratrice écrivant sur Maria Martinez et Marie Sachs, l’ombre de Maria Martinez revenue à la vie. La création artistique consiste en l’évocation fictive d’une femme à travers le regard d’une tierce personne, qui n’est qu’un procédé littéraire, selon Marie NDiaye.
Or, Maria Martinez est une artiste, pas uniquement une pauvre femme victime − ce qu’elle a été certainement : victime du racisme de l’époque, un racisme par ailleurs candide et cruel, immédiat.

Ces deux femmes s’opposent sur la façon de s’approcher de Maria Martinez. La narratrice reproche à Marie Sachs de se prendre pour la Malibran noire. L’artiste considère la narratrice comme distante et illégitime, n’ayant vécu elle-même ni critiques, ni regards, ni attitudes odieuses.

Pour la metteuse en scène Blandine Savetier, Un pas de chat sauvage évoque avec finesse le racisme, la différence et la condition noire, via la langue, le mystère, l’imaginaire, une sensibilité, une aptitude à prendre en compte et à entendre les humiliations que certains font subir à d’autres.

La scénographie judicieuse joue sur le décalage et le morcellement de ces vies féminines cassées. Côté jardin, sur les premiers gradins, trône un piano à queue comme renversé, qui s’ouvre et s’éclaire, une boîte à secrets et à merveilles, d’où surgit l’évanescente Nancy Nkusi. Là se tient l’artiste Natalie Dessay, narratrice se saisissant de l’énigme avec tact, au pupitre/clavier.

Sur la scène, est tendu un ample rideau à deux pans sur lequel un magnifique théâtre à l’italienne est projeté, un miroir vertigineux tendu au public invité à s’amuser de ces figures fascinantes explorées, entre réalité et imaginaire, entre la générosité des atours fantasmés de revue de cabaret - couleurs et noir et blanc - et celle des sourires malicieux de la danseuse épanouie.

La musique libre et rieuse du chef d’orchestre/DJ swinguant accompagne ce beau rêve éveillé pour un public qui ré-invente de son côté la fulgurance d’une icône oubliée, singulière et universelle.
Un spectacle concocté avec un art délicat, le témoignage d’une différence in-signifiante à présent.

Un pas de chat sauvage, texte de Marie NDiaye, mise en scène de Blandine Savetier, deux artistes associées au TNS, adaptation et dramaturgie Waddah Saab, Blandine Savetier, scénographie Simon Restino, musicien Greg Duret, lumière Louisa Mercier, vidéo Laurence Barbier. Avec Natalie Dessay, Nancy Nkusi, le musicien Greg Duret. Du 2 au 10 mars au TNS - Théâtre National de Strasbourg. Les 7 et 8 novembre 2023 à la Maison de la Culture de Bourges, Scène nationale à Bourges. Le 15 novembre (sous réserve), Le Carreau, Scène nationale, Forbach. Du 12 au 22 mai 2024, Théâtre Les Bernardines, Les Théâtres, Marseille.
Crédit photo : Jean-Louis Fernandez.

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Véronique Hotte

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