Critique – Opéra et Classique

Owen Wingrave de Benjamin Britten

De belles voix à découvrir sous des ancêtres rapaces

Owen Wingrave de Benjamin Britten

Inscrire au répertoire de l’Atelier Lyrique de l’Opéra National de Paris, l’avant dernier opéra de Benjamin Britten (1913-1976), relève d’une sorte de défi. L’œuvre, issue d’une commande de la BBC – mais oui, à l’aube des années 70, en Angleterre, une télévision de service public avait le culot de commander un opéra à un compositeur vivant ! – est en effet étrange et déroutante.

Agencée en séquences destinées aux caméras de la télévision, composée sous l’impact de la guerre du Vietnam, elle ne connut de consécration scénique que quatre années après sa diffusion et reste aujourd’hui encore un objet à l’identité singulière. Contrairement aux Tour d’Ecrou, Peter Grimes ou autre Billy Budd, on le voit peu sur scène. L’une de ses rares productions eut lieu à Nancy dans une mise en scène de Marie-Eve Signeyrolle (voir WT 4306 du 8.10.2014).

Britten était antimilitariste, son War Requiem en témoignait déjà dix ans plus tôt. Le destin de ce révolté, dernier né d’une lignée de militaires, héros d’une nouvelle d’Henry James devait forcément l’inspirer. Owen Wingrave dit non à l’uniforme que lui destine sa famille, il dit non aux armes qu’elle veut lui voir porter et manier. Il clame sa foi pacifiste : « Le courage de la guerre est faux ! C’est le courage de la paix, le courage des poètes qui doit tout remporter ! ». Le voilà réprimandé par son instructeur, rejeté par sa famille qui le déshérite au nom des ancêtres dont les portraits peuplent les murs de leur demeure. Leur gloire n’est pas sans ombre puisque l’un d’eux a sacrifié son propre enfant au nom des armes. Un enfant dont le spectre hante toujours une zone du château familial. Owen y cherchera refuge et y mourra.

Seconds degrés

L’espace ouvert de l’amphithéâtre de l’Opéra Bastille a été confié au jeune metteur en scène irlandais Tom Creed. Il a cherché à y infiltrer des seconds degrés qui brouillent les pistes et le sens du message : – des rapaces aux ailes déployées, posés sur des chevalets remplacent la galerie de portraits obligeant les chanteurs à jouer à cache-cache autour de leurs socles, un triste mur gris tapisse le fond de scène (allusion au Brexit, selon le programme), un projecteur sur rail le meuble d’ombres mouvantes et d’images écarquillées. A ces éléments de décors s’ajoutent quelques manies sans grand rapport avec l’œuvre, le déshabillage puis l’habillage en direct sur scène (pour Owen au premier acte - de civil en troufion-, pour le patriarche au second, -de civil en grand uniforme) et la présence continue de bouteilles et de verres échangés. Owen et les siens picolent beaucoup.

L’utilisation, désormais classique, des travées entre les fauteuils, s’intègre en revanche parfaitement à l’action. Et l’orchestre posé sur les marches côté cour conserve le charme de sa visibilité. Stephen Higgins dirige d’ailleurs en précision et finesse les instrumentistes doués de l’Orchestre-Atelier-Ostinato (harmonie, percussion, harpe) et les jeunes cordes en résidence à l’Académie.

Des voix, des tempéraments

Peu de direction d’acteurs pour les chanteurs stagiaires de l’Atelier. Mais des voix et des tempéraments à découvrir, à suivre sûrement sur d’autres scènes. Ils sont de toutes les nationalités. Dans le rôle-titre le baryton polonais Piotr Kumon joue une sorte d’innocence bravache, sa voix au medium satiné, émet des graves profonds (malgré une laryngite annoncée) et des aigus de belle clarté. Son accent colore à peine sa prononciation de l’anglais. Michael Timoshenko, baryton basse russe est Coyle l’instructeur amical au timbre dramatique et à la diction perlée, Sofija Petrovic, soprano hongroise, en épouse engagée, lui fait écho avec le même sens du drame. Kate, la fiancée rigide, est défendue par Farrah el Dibany, mezzo égyptienne qui lui offre une voix chaleureuse, le ténor corse Jean-François Marras est Lechmère l’ami fidèle aux aigus veloutés, Elisabeth Moussous montre de l’autorité en Mrs Wingrave. Bien évidemment ils n’ont pas l’âge de leurs rôles et s’il est difficile de croire que la menue Laure Poissonnier, soprano française, est la mère de la longue Kate de Farrah el Dibany, le ténor espagnol Juan de Dios Mateos Segura compose façon marionnette les personnages du narrateur et du très vieux général Wingrave.

Owen Wingrave de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper, orchestre-atelier-Ostinato, musiciens en résidence à l’Académie de l’Opéra National de Paris, direction Stephen Higgins, mise en scène Tom Creed, scénographie et lumières Aedin Cosgrove, costumes Catherine Fay. Avec les chanteurs en résidence Piotr Kumon, Mikhail Timoshenko, Jean-François Marras, Elisabeth Moussous, Sofija Petrovic, Laure Poissonnier, Farah El Dibany, Juan de Dios Mateos Segura.

En coproduction avec Irish Youth Opera

Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, les 19, 22, 24, 26 & 28 novembre à 20h

08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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