Toulouse – Théâtre du Capitole jusqu’au 30 novembre 2012

Written on Skin de George Benjamin et Martin Crimp

La ténébreuse puissance d’un chef d’œuvre

Written on Skin de George Benjamin et Martin Crimp

Ce fut le plus grand succès du dernier festival d’Aix en Provence : Written on Skin de George Benjamin opéra d’aujourd’hui sur une histoire d’autrefois possède les ténébreuses beautés d’un chef d’œuvre. Créé en juillet 2012, il rayonne sur la scène du Capitole de Toulouse, coproducteur de cette commande initiée par Bernard Foccroulle, le directeur du festival.

Il souhaitait que soit conçu un opéra inspiré par le sol de Provence et confia le projet au compositeur George Benjamin. Le choix se porta sur un conte médiéval en prose, - un genre appelé « razo » - relatant la vie et la mort cannibale de Guilhelm de Cabestanh, troubadour du XIIIème siècle occitan dont le cœur fut donné à manger à sa maîtresse par son mari jaloux.

George Benjamin, 52 ans, compositeur britannique souvent ancré en France – il fut l’élève d’Olivier Messiaen – auteur d’un vaste panorama d’œuvres orchestrales, chorales et pour instruments solistes, fut séduit par la proposition et fit appel à l’auteur dramatique Martin Crimp, l’une des têtes de pont du théâtre anglais d’aujourd’hui. Les deux hommes se connaissent pour avoir déjà travaillé ensemble sur Into the Little Hill, premier spectacle lyrique du compositeur, ébauche d’opéra plutôt ou spectacle « frontière » selon la définition de Gérard Mortier qui programma l’œuvre quand il dirigeait l’Opéra National de Paris (voir WT du 27 novembre 2006).

Sur la peau des parchemins

Un troubadour, c’est-à-dire un chanteur, héros d’un opéra où tout le monde chante semblait créer une sorte de pléonasme musical. Benjamin et Crimp en firent un enlumineur, l’artiste qui dessine et écrit sur la peau des parchemins : Written on skin - Ecrit sur la peau, le titre s’imposait. L’histoire conserve le noyau tragique du modèle où un trouvère tombé amoureux de l’épouse du seigneur qui l’emploie est assassiné par celui-ci qui découpe son cœur et le fait déguster à sa femme infidèle. Ici le seigneur, despote sanguinaire, autoproclamé « Protecteur », embauche un enlumineur pour se faire faire un livre à sa gloire. Il est le mari tyrannique d’Agnès, jeune femme illettrée à peine sortie de l’adolescence. Agnès et l’enlumineur vont découvrir leurs corps, leurs sexes et s’aimer en fusion sauvage. Agnès y trouvera son identité et la revendiquera : être Agnès enfin et non plus la femme de. Elle savourera le cœur de son amant cuisiné par son mari et le trouvera « sucré comme son lait, salé comme ses larmes ». Quand le mari lui révèle l’origine du plat, elle se libère enfin de lui et de son monde, en se jetant dans le vide.

Entre trois mondes

Benjamin et Crimp font osciller la légende entre trois mondes : la réalité d’un autrefois, celle du monde d’aujourd’hui, et celle de la pensée et des désirs, des aspirations, un monde peuplé d’anges. L’enlumineur est The Boy, le Garçon, et ce garçon est un ange. Il est d’hier quand il travaille et quand il aime, d’aujourd’hui quand il observe. Les autres anges sont les fonctionnaires de l’histoire, des employés, des archivistes, régisseurs d’aujourd’hui. Ils font le ménage, ils préparent les scènes, ils habillent les personnages. Ceux-ci sont les récitants de leurs aventures, ils parlent à la troisième personne.

La charpente de l’ensemble tient à la fois du cinéma et du jeu de Lego. Le décor de Vicky Mortimer s’inscrit dans son architecture en quatre parties superposées avec des vieux meubles, des arbres, des fenêtres embuées, des pièces claires, vestiaires, bureaux filtrés aux néons. Il y invente des espaces où rêves et réalités se joignent dans les lumières irisées de Jon Clark. La mise en scène de Katie Mitchell relie en force et subtilité les lieux et les êtres.
Les dialogues s’emboitent dans l’écriture serrée, d’une fulgurante beauté de Martin Crimp. Un texte de poète, de visionnaire parfois. Et dans la musique de George Benjamin, authentique héritier des musiques de notre temps, la musique d’un amoureux de Debussy, de Berg et de Messiaen, une musique qui fait voltiger harmonies tonales et sérialisme, qui ose des mixtures et des textures où une viole de gambe s’insère dans les pleurs d’un harmonica de verre. Toutes les nuances d’un arc en ciel d’orage explosent, douceurs caressantes et violence qui fouette.

Une voix qui file vers l’infini

L’écriture vocale a été conçue en liaison avec les interprètes prévus pour la création. Elle est quasi classique, tonique et drôlement exigeante. Du sur mesure pour athlètes. Un contre-ténor mezzo pour l’Ange enlumineur, le Garçon, l’amant, le témoin. Bejun Mehta créa le rôle à Aix, il est repris à Toulouse par le lumineux Tim Mead, présence concentrée, timbre à la douceur céleste, Christopher Purves est le baryton chargé de donner vie au seigneur protecteur, ramassé, rageur, noir comme le diable avec des graves qui fouillent l’enfer et un medium qui chante les blessures. Agnès est la révolte qui s’exprime sur deux octaves et culmine sur des contre ut stratosphériques : un timbre, une puissance aiguisée aux normes de Barbara Hannigan qui fut récemment à Bruxelles une phénoménale Lulu d’Alban Berg (voir WT du 30 octobre 2012) Elle a tout cette Barbara, la sensualité, la beauté, le feu intérieur et une voix qui file vers l’infini comme si l’infini était sa demeure.

Franck Ollu, l’un des chefs clés de la musique contemporaine connaît à merveille son Benjamin dont il a, entre autres, créé et dirigé Into the little Hill il y a six ans à l’Amphithéâtre Bastille. Les fins musiciens de l’Orchestre National du Capitole répondent en orfèvres à ses battues, à ses ruptures et ses envolées.

Written on skin s’inscrit pour de vrai dans notre peau. La saison prochaine, il sera à l’affiche de l’Opéra Comique de Paris. Un rendez-vous à ne pas manquer.

Written on skin de George Benjamin, livret de Martin Crimp, d’après
« Le cœur mangé » conte anonyme du XIIème siècle occitan. Orchestre national du Capitole, direction Franck Ollu, mise en scène Katie Mitchell, scénographie et costumes Vicky Mortimer, lumières Jon Clark. Avec Barbara Hannigan, Christopher Purves, Tim Mead, Victoria Simonds, Allan Clayton.

Coproduction Festival d’Aix en Provence, Théâtre du Capitole, Royal Opera House Covent Garden, De Nederlandse Opera Amsterdam, Teatro del Maggio Musicale Fiorentino.{{}}

Toulouse – Théâtre du Capitole les 23, 27, 30 novembre à 20h – le 25 à 15h.

+ 33 (0)5 61 63 13 13 - www.theatre-du-capitole.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook