Paris- Théâtre Darius Milhaud

Vous n’aurez pas Bouvard et Pecuchet

La déraison raisonnée

Vous n'aurez pas Bouvard et Pecuchet

L’adaptation d’un roman à la scène pose souvent problème, soit le négociateur préposé à la découpe exerce au-delà des marges ou le malheureux texte tombe entre les mains d’un intégriste littéraire que sa prudence et son respect de l’auteur incite à la conservation « intégrale » du texte.

L’adaptation proposée par Eric Herbette semblerait posséder cette vertu principale de l’adaptation : accompagner l’auteur afin de le rendre explicite sur la scène et non pas redondant et répétitif. Eric Herbette connaît son affaire et il a su, probablement à l’aide d’un travail direct avec les comédiens, dégager l’essence et la logique de l’absurde chez Flaubert..

Les deux compères comédiens Jean Lespert et Michel Miramont savent bien servir le potage, ils excellent de fantaisies, de nuances et aussi de rigueur scénique. Dieu sait pourtant si les personnages de Bouvard et Pécuchet sont capricieux, versatiles et dispersés mais la rigueur proposée sur le plateau par le metteur en scène minutieux que doit être Silvio Pacitto nous ramène nos deux chiens fous au cadre du plateau. Le duo d’acteurs est très réussi échappant de justesse à toute caricature les comédiens évoluent avec une certaine aisance due au fait qu’ils s’amusent réellement devant nous. Ils s’y amusent parfois tellement bien qu’on ressent quelque petite jalousie. On perçoit bien ce bonheur à jouer et il se communique dans la salle.

Signalons aussi d’agréables diversions où les personnages sortent d’eux-mêmes pour commenter la vie littéraire de Flaubert. Façon de faire revivre l’auteur par anecdotes et réflexions des deux compères sortis tout droit de leurs rôles comme on saute du lit quand on est enthousiasmé par la vie.

Le dispositif scénique de Ma Fu Liang est astucieux et fonctionnel : sorte de grande armoire normande, de buffet ou coffre en bois à la verticale, meuble gigogne déguisé en corne d’abondance d’où s’extirpent : livres, accessoires divers et hétéroclites. La mise sur roulette de l’élément n’est pas sans rappeler l’errance de la roulotte ou l’appel à la rêverie d’une cabane de jardin parée à prendre voile et larguer les amarres. L’immobilité de l’élément nous laisse bien entendre la sédentarisation dans laquelle s’enlisent les deux compères.

Bref, l’atmosphère du roman est bien rendue, c’est piqué d’humour et souvent les personnages sont pathétiques dans leur maladresse.

Il faut aussi parler de ce nouveau lieu, du moins date-t-il de presque 4 ans. Ce petit théâtre est né en 2004 de l’initiative de cinq professionnels du spectacle, notamment de celle de Michel Miramont.
Ce lieu participe de très près à la vie de quartier du 19 ° arrondissement de Paris. Il est bien placé : Dans une allée exempte de voitures mais animée, proche de petits bistrots et de restaurants populaires en survie. Ce havre avec sa polyvalence culturelle sur le quartier est aussi actuellement un tremplin possible pour de jeunes compagnies ou d’auteur prêt à songer à l’exode « réclusive ».

Les conditions d’accueil restant très raisonnables. Elles permettent à des spectacles non soutenus par le labyrinthique soutien publique de pouvoir se présenter sur le podium de la foire du Sacro-Saint-Paris ( Faudra qu’un jour on en discute sérieusement) et de résister au gibet de la place de Grève là où de nouveaux couperets tombent sans discernement sur nos dernières têtes créatrices et par la même encore courageusement critique…
Merci à ce petit théâtre d’être grand et de participer à toutes nos résistances.

Après toutes ces drôleries autant terminer par une image grave, sorte d’échelle, jeu de mot mis à part, qui relativise le degré et la réalité de notre humour qui devient alors d’ordre vital…

Théâtre Darius, 80 allée Darius Milhaud Paris 19 ° « Vous n’aurez pas Bouvard et Pécuchet » d’après Gustave Flaubert, adaptation : Eric Herbette, mise en scène : Silvio Pacitto
Décor : Ma Fu Liang, lumières : Arnaud Diart et Vincent Mouquet les 24, 31 Mai à 18 h 30 et les 6, 13, 20, 27 Juin 2008 à 15 h. Durée 1 h 20. Réservation : 01 42 01 92 26.

A propos de l'auteur
Jacky Viallon
Jacky Viallon

Jacky Viallon aurait voulu être romancier à la mode, professeur de lettres ( influencé par les petites nouilles en forme de lettres qu’on lui donnait tout petit dans sa soupe et qu’il taquinait avec sa grande cuillère en argent symbole d’une grande...

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