La Traviata de Verdi à Nantes jusqu’au 21 janvier

Violetta supernova : briller puis s’éteindre

Comment réinventer le panthéon de l’opéra, entendu, vu et revu ? Angers Nantes Opéra, dans une coproduction avec quatre maisons d’opéra, confie à Silvia Paoli une Traviata attendue, qui convainc sans surprendre. Mais faut-il à tout prix revisiter les classiques ?

Violetta supernova : briller puis s'éteindre

L’OPPRESSION, LA DÉCHÉANCE SOCIALE, la solitude sont des maux intemporels, à ce titre Violetta Valéry est notre contemporaine. Pour éviter la censure, Verdi avait transposé l’action au XVIIIe siècle. Silvia Paoli fait de Violetta une actrice du début du XXe siècle, une Sarah Bernhardt ; la comédienne avait d’ailleurs joué en son temps La Dame aux camélias, à l’origine du livret de Francesco Maria Piave.

Après Tosca au printemps 2024, on retrouve dans cette Traviata le souci de Silvia Paoli de composer l’espace et les volumes grâce à l’organisation d’une scène en plusieurs plans, des décors sobres et un jeu de lumières délicat. Dans cette mise en scène soignée, l’effet de masse apporté par les chœurs sert le message cardinal : c’est bien la foule, le « monde », qui jure et juge cette « demi-mondaine » condamnée à la solitude. Car pour Silvia Paoli, Violetta meurt autant d’isolement que de phtisie…

Malicieux mélange

Dès la première scène, l’homogénéité des costumes de bal (robes longues noires pour les dames, smoking et hauts-de-forme pour les hommes) dit l’unité d’une société, d’un système. Violetta attire les regards et les convoitises dans une ostensible robe blanche. On voudrait l’avertir : le plaisir n’est qu’éphémère… Le sien révèle en miroir un système immuable et dominant. Dans l’acte II, l’intérieur cossu de la maison Germont sera le début de la dégringolade.

Après l’entracte, la mise en scène offre une respiration en biaisant les codes : hauts chic, bas choc, les hommes ont troqué le galon de soie pour le tulle d’un tutu. Dans ce malicieux mélange des genres, l’impression de corps uniforme demeure devant une Violetta en perdition, rejetée par un amant sans pitié. Le chœur des Bohémiennes est une joyeuse scène de corrida travestie, chorégraphiée par Emanuele Rosa, qui fait sourire avant un troisième acte fatal.

Après qu’Annina l’a laissée et que les courtisans l’ont dépouillée de son pécule et de ses derniers vêtements, Violetta reste au troisième acte seule sur la vaste scène, dans le décor du bal d’entrée, fastueux. Alfredo et Giorgio brillent par leur absence sur scène, ils observent derrière les paravents en laissant gésir Violetta sur un sol froid. La boucle est bouclée, on avait découvert en ouverture une danseuse fragile tenir ses pointes avant de lâcher, l’analogie d’une Violetta perdue…

Decrescendo social

Il fallait dans ce contexte une Violetta autant investie scéniquement que vocalement. La prestation de Maria Novella Malfatti est entière, depuis les airs rayonnants et intrépides du premier acte jusqu’au combat final pour la vie, la soprano italienne incarne le decrescendo social. On goûte un « Sempre libera » plein de caractère, et une voix stable, bien timbrée, expressive, dont les médiums sûrs et sonores servent le tragique du personnage. Les aigus manquent d’un brin d’agilité pour ciseler plus finement certaines vocalises.

À ses côtés, Giulio Pelligra campe un Alfredo Germont trop discret, empêché par une émission timide. Le ténor italien est souvent couvert par l’orchestre (qui n’abuse pourtant pas des forte) et fait entendre des aigus serrés. La voix semble s’ouvrir dans le troisième acte, derrière les rideaux, et l’on goûte toutefois le soin apporté à la ligne et à la musicalité grâce notamment à une diction claire et un legato élégant.

S’il manque une quinzaine d’années à Dionysios Sourbis pour incarner pleinement le rôle, son port et sa stature en font Giorgio Germont dominant et suffisant. Le baryton fait un père froid et cynique à la voix large et puissante (au détriment parfois de nuances), à l’image d’un « Piangi, o misera, piangi  » glaçant et faussement consolateur.

Tempos alanguis

Flora Bervoix est interprétée avec entrain par Aurore Ugolin dont les quelques apparitions convainquent. Marie-Bénédicte Souquet chante Annina avec légèreté, justesse et simplicité. Le reste des chanteurs complète dignement ce plateau vocal. Trois d’ailleurs, Sung Joo Han, Jean-François Laroussarie et Yann Quemener, sont issus des rangs du Chœur d’Angers Nantes Opéra, dont la prestation est d’autant plus remarquée que leur rôle musical et scénique est conséquent.

Parmi les coproducteurs, l’Opéra de Tours accueillera cette Traviata l’été prochain. Son directeur général, Laurent Campellone tenait la baguette ce soir à Nantes. Saluons une direction franche et attentive à la scène, offrant couleurs et relief à ce drame mille fois entendu. La recherche de contrastes conduit parfois à des tempos alanguis ou pressés, créant de légers décalages avec la scène.

Angers Nantes Opéra nous avait laissés sur un Piccolo Marat pendant la Terreur à Nantes. Rien de révolutionnaire ce soir dans cette Traviata. Il faut se satisfaire de réentendre les airs qu’on aime dans une mise en scène réfléchie.

Crédits photo : Delphine Perrin pro ©

Giuseppe Verdi : La Traviata. Avec Maria Novella Malfatti (Violetta, les 14, 17, 21 janvier et 16 mars), Darija Auguštan (Violetta, les 16, 19 janvier, 18 mars), Aurore Ugolin (Flora), Marie-Bénédicte Souquet (Annina), Giulio Pelligra (Alfredo, les 14, 17, 21 janvier et 16 mars), Francesco Castoro (Alfredo, les 16, 19 janvier, 18 mars), Dionysios Sourbis (Giorgio Germont), Carlos Natale (Gaston), Gagik Vardanyan (le baron Douphol), Stavros Mantis (le marquis d’Obigny), Jean-Vincent Blot (le docteur Grenvil), Sung Joo Han (Giuseppe), Jean-François Laroussarie (Un commisionnaire), Yann Quemener (Un domestique de Flora). Paola Drera, Melissa Cosseta, Aura Calarco, Fabio Caputo, Nicola Manzoni, Paolo Pisarra (danseuses et danseurs).
Mise en scène : Silvia Paoli ; chorégraphie : Emanuele Rosa ; scénographie : Lisetta Buccellato ; costumes : Valeria Donata Bettella ; lumières : Fiammetta Baldisseri.
Chœur d’Angers Nantes Opéra (dir. Xavier Ribes). Orchestre national des Pays de la Loire, dir. Laurent Campellone. Nantes, Théâtre Graslin, 14 janvier 2025.

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Quentin Laurens

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