La Traviata de Verdi à Massy
Violetta, Paris et Barcelone
La Traviata selon Oriol Tomas, ou comment voyager du Paris du Second Empire à la Barcelone fin de siècle d’Antoni Gaudí.
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- 26 mai
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Oriol Tomas, metteur en scène catalan-canadien de cirque, d’opéra, de théâtre et de galas, n’est pas un inconnu à Massy. Il y avait présenté avec grand succès en 2014 sa superbe production des Caprices de Marianne d’Henri Sauguet, spectacle itinérant qui lui avait valu le Grand Prix Claude Rostand 2015. À dix années de distance, on constate que si la mise en scène présentée aujourd’hui a gagné en profondeur (l’œuvre le demandait), les idées de base de l’artiste demeurent bien présentes. Tomas aime les endroits irréels, qu’il matérialise par des décors très chargés, colorés, clinquants, structurés par des lignes droites comme en 2014, ou alors aériens au moyen d’un enchevêtrement de courbes comme dans la production présente. On retrouve aussi certaines autres constantes : la mise en valeur des jambes féminines, l’attirance pour les plateaux remplis de monde, la facilité donnée à ses acteurs afin qu’ils puissent chanter, même au détriment de la vraisemblance dramatique s’il le faut.
Pour illustrer l’histoire de la prostituée au grand cœur – ici transformée en femme d’affaires au grand cœur –, il a demandé à Simon Guilbault d’imaginer des espaces évoquant la fin du XIXe siècle, à l’arrivée de l’Art nouveau, en léger décalage temporel avec l’époque du récit d’Alexandre Dumas, grosso modo le Second Empire (1852-1870). Le décorateur a donc déplacé le Paris de Napoléon III… à la Barcelone moderniste d’Antoni Gaudí, au moyen d’un décor présidé par une sorte d’immense ruche multicolore, flamboyante, hautement symbolique de l’abondance mais aussi du travail bien fait, celui des filles de madame Violetta. Le décor unique est remodelé à chaque acte, grâce aux éclairages de Marc Delamézière et aussi aux étonnantes vidéos de Félix Fradet-Faguy. Les costumes de Sébastien Dionne, d’une grande variété de styles, apportent un éclectisme bienvenu dans le monde proposé, imaginatif certes mais aussi uniforme.
Remarquable Robert Tuohy
Sans aucune ambiguité, la soirée est portée à bout de bras par l’orchestre de l’Opéra de Massy remarquablement dirigé par le chef américano-irlandais Robert Tuohy. L’ancien directeur musical de l’Opéra de Limoges n’a pas économisé ses efforts pour mettre en valeur les qualités de la partition, que ce soit dans l’accompagnement des solistes ou lors des passages symphoniques, ou encore dans les moments d’exaltation chorale. Il s’est accordé avec les capacités de chaque chanteur ; en particulier, il a accompagné de très près Erminie Blondel (Violetta), lui proposant une option interprétative pour chaque phrase avec un soin extrême. Elle lui doit en partie son succès lors de cette soirée.
Et pourtant les débuts de la soirée ne furent pas faciles pour la soprano ! Passons sur le premier acte, fait de quelques hauts et de beaucoup de bas où non seulement la chanteuse, mais aussi, mais surtout son partenaire Raffaelle Abete (Alfredo) ont sombré dans la fébrilité et l’imprécision par moments. Heureusement, le chœur (préparé par Gaël Darchen) et les rôles de figuration – Rémy Matthieu (Gastone), Frédéric Gonçalves (Obigny), François Harismendy (Duphol) et d’Emma Parkinson (Flora) –, vrais experts en la matière, ont donné leurs répliques avec fermeté et clarté. On dira la même chose des apports ultérieurs de Simona Caressa (Annina) et de Tomislav Lavoie (Grenvil). Le calme est revenu dès l’entrée en scène de Simone del Savio en Germont, le père d’Alfredo, au second acte. Paradoxalement, son violent dialogue avec Violetta, a apporté tranquillité sur le plateau, dès sa réplique « Dite alla giovine… » ; malgré l’opacité de son timbre, Erminie Blondel s’est remise sur pied comme par miracle. Elle a montré une grande sincérité en criant « Amame Alfredo ! » et son aria « Addio del passato » a créé un moment d’émotion. Au total, dès le deuxième acte, elle a réussi tout à la fois : un bon legato, une justesse musicale, une facilité dans le registre aigu, une prosodie acceptable (bien qu’elle ait oublié beaucoup de consonnes), un phrasé élégant et une présence scénique faite de douleur et de résignation, chrétienne si on ose dire. Elle a maintenu ces caractéristiques jusqu’à la fin de la soirée.
Tradition et coups d’éclat
Simone del Savio a campé un Germont impeccable du point de vue vocal mais, hélas, dans un registre dramatique que l’on pourrait qualifier de traditionnel. C’est-à-dire qu’il a porté toute son attention sur la pureté du chant (émission virile, bien timbrée, locution compréhensible, sans difficultés de tessiture, de volume ou de tempo) mais en restant immobile sur scène, à la manière des barytons d’antan.
On aura compris que Raffaelle Abete est le point faible de la soirée. Dramatiquement, il n’est pas à l’aise dans son personnage aux multiples facettes : amoureux, jaloux, dépité, repentant... Vocalement, il se montre imprécis et peu ferme dans le registre aigu, et inaudible dans le registre grave, voire dans le medium. À la faveur de quelques coups d’éclat (« Questa dona conoscete… ! ») il a pu cependant récupérer la faveur du public.
Les six danseurs, bien préparés par Lucie Vigneault, se sont mêlés aux membres du chœur pour développer d’étonnantes figures chorégraphiques au premier acte, et ont apporté un moment d’exaltation lors de l’espagnolade chez Flora au II avec une tête de taureau sur la tête.
Illustration : Violetta (Erminie Blondel) et Simone del Savio (Germont père). Photo Opéra de Massy
Verdi : La Traviata. Avec Erminie Blondel, Raffaele Abete, Simone del Savio, Emma Parkinson, Simona Caressa, Rémy Mathieu, Frédéric Gonçalves, François Harismendy, Tomislav Lavoiie. Production Icelandic Opéra, Opéra de Massy. Mise en scène : Oriol Tomas ; décors : Simon Guilbault ; costumes : Sébastien Dionne ; lumières : Marc Delamézière ; vidéo : Félix Fradet-Faguy. Chœur Unikanti et Maîtrise des Hauts-de-Seine. Orchestre de l’Opéra de Massy, dir. Robert Tuohy. Opéra de Massy, 24 mai 2024.