Un voyage en hiver

Janina Baechle chante Le Voyage d’hiver de Schubert à l’Amphithéâtre-Bastille, en compagnie d’Elisabeth Leonskaja. Avec peut-être un léger manque de noirceur.

Un voyage en hiver

Il neigeait le soir du 14 janvier sur Paris, un temps à aller écouter Winterreise (Le Voyage d’hiver), c’est-à-dire à s’embarquer pour un cycle de vingt-quatre lieder composés par Schubert en 1827 sur des poèmes de Wilhelm Müller. Un double et sublime chemin de croix au milieu de la neige et du pressentiment de la mort.

Ces lieder sont habituellement chantés par des voix d’homme. Hans Hotter, dans les années 50, en a fait une intime déploration. Dietrich Fischer-Dieskau a ciselé les mots au fil de sa diction exemplaire. Certains ont eu la chance d’entendre Jon Vickers, en 1983, dans un récital où il était question de déclamation et de démesure, où le timbre splendidement nasal du ténor métamorphosait ces pièces douloureuses pour en faire des blasons, des airs, en tout cas autre chose que des lieder. Plus près de nous, Christoph Prégardien a enregistré le cycle avec Andreas Staier (Teldec) dans une lumière fantomatique qui touche à l’idéal.

A l’Amphithéâtre-Bastille, c’est une femme qui s’empare du Voyage d’hiver  : la mezzo-soprano Janina Baechle, qui a notamment participé à la création, en 2011 à l’Opéra Bastille de l’opéra Akhmatova de Bruno Mantovani. La voix est chaleureuse, elle se détimbre parfois étrangement (mais, précisément, donne à cette musique toute son étrangeté), la diction et la projection sont celles du lied : intimes, confidentielles, sans volonté de démonstration. Mais justement : ce Voyage d’hiver est une traversée de la désolation (du paysage, du sentiment), or ce type de voix et d’interprétation contient en lui-même sa propre consolation. Les contrastes d’une page comme Frühlingstraum (Rêve de printemps), qui parle aussi de la triste réalité, ne sont pas assez marqués, Die Krähe (La corneille) manque de cruauté, et l’ensemble prend l’allure d’un rêve éveillé, d’un voyage vers la rédemption. C’est dans les pages les plus lyriques, c’est-à-dire celles qui font moins appel au sens du tragique qu’à l’expression de la mélancolie (Wasserflut, Dégel ; Auf dem Flusse, Au bord de l’eau ; Irrlicht, Feu follet) que Janina Baechle est la plus convaincante.

On attendait beaucoup d’Elisabeth Leonskaja, qui a plus pour habitude de jouer les grands concertos et les grandes sonates que d’accompagner humblement les chanteurs. Son toucher au début étonne par sa discrétion, au point que la sublime modulation qu’on trouve à la fin du premier lied (Gute Nacht, Bonne nuit) passe presque inaperçue. Mais le piano prend peu à peu son étoffe, les notes piquées de Letzte Hoffnung (Dernier espoir) jettent tout leur éclat inquiétant, fragmenté ; l’instrument devient alors le chemin tracé par la musique, celui où ira le rejoindre la voyageuse.

photo : Janina Baechle (dr)

Schubert : Winterreise (Le Voyage d’hiver). Janina Baechle, mezzo-soprano ; Elisabeth Leonskaja, piano. Amphithéâtre-Bastille. Ce concert sera redonné le vendredi 18 janvier à 20h (www.operadeparis.fr).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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