Un théâtre en liberté de Philippe Tesson

Une plume plaidoyante

Un théâtre en liberté de Philippe Tesson

Peu de critiques dramatiques bénéficient d’une publication de leurs articles regroupés. Ils n’existent qu’au fil du vent. Ce type de recueil est pourtant une contribution précieuse à l’histoire artistique. L’on peut, par exemple, se reporter d’une manière fructueuse aux témoignages subjectifs, souvent partiaux mais substantiels que constituent les livres formés à partir des papiers de Colette, Elsa Triolet, Gilles Sandier, Guy Dumur, Colette Godard, Jean-Pierre Thibaudat… Peu de temps après la mort de Philippe Tesson (le 1er février 2023), L’Avant-Scène Théâtre fait paraître une anthologie de ses chroniques, Un théâtre en liberté, qui couvre cinquante ans d’activité critique, de 1970 à 2022. Tout n’y est pas, mais le choix est abondant. Voilà qui éclaire d’un large faisceau une grande part de l’ère moderne !
Rassemblant les textes en autant de chapitres que de collaborations aux journaux dont il fut le critique attitré, Le Canard enchaîné, L’Express, La Revue des Deux Mondes, Le Point, Le Figaro Magazine, Armelle Héliot note dans sa belle préface : « ce polémiste politique, capable, à ses débuts, de jouer la désinvolture, sut, au fil du temps, songer profondément aux artistes embarqués. Il prenait garde de ne pas blesser les interprètes, lorsqu’un spectacle lui semblait discutable. Il s’en prenait au metteur en scène. Et encore réservait-il ses colères aux institutions qui ne risquaient rien. Les puissantes. Il avait un mot d’ordre : « Une critique est un service rendu au lecteur ». Ce qui n’interdit pas le style. Ce recueil, fruit de choix difficiles, témoigne de l’étendue de ses connaissances et de l’amour qui présida toujours à ses relations avec le théâtre. Avec lui la critique dramatique n’est pas seulement une catégorie journalistique. Elle est bien un genre littéraire ».
Une philosophie humaniste
Quand Philippe Tesson arrive dans le monde de la critique théâtrale, qu’il va exercer parallèlement au journalisme politique et à la direction de journaux, la profession est largement tournée vers une philosophie humaniste. Certes, il y a des critiques aux points de vue badins et au regard anecdotique, mais les signatures qui comptent appartiennent aux courants chrétien et progressiste. Tesson a le sens de la transcendance, comme ses aînés, mais il est plus joueur, plus débatteur et plus rieur. Reste que les grandes questions sociales et métaphysiques lui sont familières et ce claudélien sans œillères ne les oublie jamais. Il y revient toujours : tout peut être exprimé sur une scène, c’est le lieu où tout se passe. « Le théâtre est-il au service de l’illusion ou de la liberté ? écrit-il à propos d’une pièce de Lorca en 1988. La réponse de Lorca est celle-ci, qui rabaisse les amuseurs au rang où il devraient se tenir : il faut détruire le théâtre ou vivre dans le théâtre. Ce qui signifie que le théâtre ne peut s’accommoder de la convention, qu’il est le terme ultime de la vérité, qu’il est là pour racheter les mensonges de la vie vécue. Le théâtre est une épreuve redoutable à laquelle il faut soumettre sans précaution et sans mesure le public pour lui ôter ses illusions ».
Cette authentique passion ne se met pas seulement au service du théâtre parisien adossé au vedettariat. En cela, Tesson est l’anti-Jean-Jacques Gautier – ce lointain critique du Figaro qui ne comprit rien à Ionesco et assassina les auteurs ébouriffants des années 60-70. Par exemple, on le voit, en 1971, écrire : « Je dormais, nous dormions au théâtre depuis longtemps, depuis des mois, depuis que nous avions vu 1789 à la Cartoucherie de Vincennes… Et puis un soir, soudain, sans prévenir, tilt, le coup sur la tête, le coup au cœur, le coup aux yeux, le coup de grâce, enfin quelque chose »… Il salue là Capitaine Schelle, capitaine Eçço de Rezvani monté par Vincent. De ce Tesson découvreur qui n’a pas peur d’aller en banlieue, on peut suivre la plume plaidoyante pendant des années, défendant Peter Brook, soutenant Ribes, Besset, Lagarce, Zeller, Notte, Thiéry… Et rire de ses colères, comme par exemple à l’occasion de L’Ecole des femmes mis en scène à la Comédie-Française par Eric Vigner en 1999 : « Ici, la mauvaise action confine au crime… Nous requérons la peine capitale contre cette imposture, en nous appuyant sur les arguments de la victime, qui est le meilleur avocat qu’on puisse imaginer, Molière lui-même ».
C’était au temps où les critiques dramatiques avaient le talent des grands avocats – et la place pour donner libre cours à leurs plaidoiries. Dans le genre, Philippe Tesson était un ténor.

Un théâtre en liberté, anthologie de critiques dramatiques 1970-2022, de Philippe Tesson, orchestré par Armelle Héliot avec le concours de Jean Talabot, Violaine Bouchard, Anne-Claire Boumendil, Laura Carvalho, Stéphanie Tesson et Angéline Albouze. L’Avant-Scène Théâtre, collection Quatre-vents, 384 pages, 23 euros.

Photo DR.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter...

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