Paris - Théâtre du Lucernaire jusqu’au 15 Novembre 2009

Un papillon qui bat des ailes à New York peut-il provoquer un typhon à Pekin ? d’après Antonio Tabucchi

Vertige des manipulations en pente lisse d’un interrogatoire poilitique

Un papillon qui bat des ailes à New York peut-il provoquer un typhon à Pekin ? d'après Antonio Tabucchi

Ce drôle de titre est celui que l’écrivain polémiste italien Antonio Tabucchi donna à l’une des nouvelles de son recueil intitulé L’Angelo Nero/L’Ange Noir. Un texte, un dialogue plutôt retraçant sous forme faussement fictive le climat de l’Italie des années quatre vingt quand la police politique anti-terroriste procéda à une série d’interrogatoires dans le but d’anéantir les protagonistes du mouvement d’extrême gauche Lotta Continua soupçonnés d’avoir commandité et exécuté l’assassinat du commissaire Calabresi en 1972 à Milan.

Ceci est la face historique de la procédure telle que la décrit l’historien Carlo Ginzburg dans son livre pamphlet Le juge et l’historien, considération en marge de l’affaire Sofri. L’histoire vraie d’une manipulation où le colonel Bonaventura interrogea durant 17 nuits Leonardo Marino, ex-ouvrier de Fiat, ancien membre du parti en question où il servit de chauffeur et d’homme à tout faire. Il fut voyou, il fut braqueur, il est dans la mouise totale se dit repenti et accepte pour s’en sortir d’accuser Oviedo Bompressi, l’exécuteur ainsi qu’ Adriano Sofri et Giorgio Petrostefani ses commanditaires. Sans autre preuve que les déclarations de Marino ils furent tous trois condamnés à 22 ans de prison ferme. Adriano Sofri sera libéré en 2015 !

Des questions en forme de bistouri anesthésiant

Ces faits réels ont inspiré à Tabucchi un face à face imaginaire, entre le colonel qui devient chez lui « l’homme en complet bleu » et sa victime rebaptisée « l’homme aux cheveux gris ». Il y a celui qui questionne en s’épongeant de temps en temps le front et la calvitie. Il est calme mais perd parfois son sang-froid de façade pour, une fois son impatience explosée, s’y enfermer à nouveau. Il utilise des phrases en forme de bistouri anesthésiant. Il n’a pas d’identité précise, il est un numéro, un rouage, même s’il laisse percer, comme unique confidence, son penchant pour les bords de mer. « L’homme aux cheveux gris » auquel il a attribué le nom de code « Papillon » fait des efforts pour sonder ses souvenirs, s’y perd parfois puis se rattrape en racontant, vite fait et profil bas, ce qu’on attend de lui. Pour clore le chapitre, se retrouver à l’air libre, enfin…

Sur la scène du Lucernaire, le metteur en scène Thierry Atlan leur a confectionné un petit prologue où ils se seraient retrouvés dix ans plus tard sur un coin de terrasse, « l’homme en complet bleu » désormais retraité de la fonction publique mais toujours questionneur avide de mettre les points sur les « i » afin de refermer les boucles tandis que « l’homme aux cheveux gris » qui s’est retrouvé une santé et un petit pactole en vendant des crêpes sur les plages, laisse remonter à la surface, par bribes économes, un pan de son passé, pour, aussitôt, le replonger dans le néant de sa mémoire. « L’homme en bleu » qui n’a toujours pas de nom semble jalouser la bonne forme de son ancienne victime, sa quiétude apparente et le prix d’un passé plein d’aventures.

Des battements d’ailes dans le huis clos de l’Histoire

Patrick Paroux, petit, mince, sec, s’est donné l’allure de fouine de « l’homme en complet bleu », il a adopté sa nervosité rentrée, ses éclats soudains, sa logique infernale. Yves Arnault, géant débonnaire, encombre son esprit et l’espace de sa présence compacte. Il sourit parfois à fleur de lèvres, comme si son ironie passagère ne s’adressait qu’à lui-même, il a les yeux qui furètent, se ferment, se lèvent au ciel pour invoquer la réponse qui lui servira de sésame. Il est le pauvre type idéal qui n’a rien à perdre. Il joue à l’enfant comme le lui ordonne « l’homme en bleu », le monsieur qui l’entraîne dans la ronde des « comme si »… Il serait celui-là, il aurait fait ceci et pas cela, il serait entré dans tous les possibles … il aurait compris, peut-être cette théorie des fractales que son bourreau invoque à propos de ses battements d’ailes de papillon qui dans le huis clos de l’Histoire, propageraient des ondes universelles.

La scène est pratiquement nue, avec, à cour, un petit bout de parquet pour figurer l’imaginaire terrasse où les deux hommes sont censés se retrouver, et à jardin le bureau anonyme des interrogatoires. On entend ici des voix d’enfants dans une cour de récréation, et là, le murmure de la ville, ses ronronnements de moteur, ses coups de klaxon. Entre deux séquences des phrases brèves projetées sur les murs rappellent les faits historiques. Patrick Paroux est le diable noir-passe muraille de l’inquisition, Yves Arnault impose le poids de son humaine détresse. Ils font oublier qu’ils jouent la comédie. Thierry Atlan les dirige sans artifice. Il témoigne.

Un papillon qui bat des ailes à New York peut-il provoquer un typhon à Pékin ? d’après la nouvelle éponyme tirée des récits de L’Angelo nero/L’Ange noir d’Antonio Tabucchi. Conception et mise en scène de Thierry Atlan. Avec Yves Arnault et Patrick Paroux.

Paris -Théâtre Le Lucernaire, du mardi au samedi à 18h30, dimanche à 17h (durée du spectacle : 1 heure)

01 45 44 57 34 – www.lucernaire.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook