Picture a day like this de George Benjamin à l’Opéra Comique

Un jour avec Sir George

L’opéra le plus récent et le plus mystérieux du compositeur anglais est repris salle Favart, dans la mise en scène qu’on a pu voir en 2023 à Aix-en-Provence.

Un jour avec Sir George

APRÈS DEUX OUVRAGES RELATIVEMENT IMPOSANTS (Written on skin et Lessons in love and violence), George Benjamin est revenu, à la faveur de son quatrième opéra, à des dimensions plus modestes, qu’il s’agisse de la durée ou de l’effectif instrumental requis. Picture a day like this cependant, créé le 5 juillet 2023 au Festival d’Aix-en-Provence, confirme la bonne entente liant Benjamin avec le dramaturge Martin Crimp, qui signe là un quatrième texte (il récuse le mot livret, trop synonyme selon lui de petit livre) pour le compositeur anglais.

D’une certaine manière, Crimp et Benjamin renouent avec ce qui faisait le sel d’Into the little hill, le premier fruit de leur collaboration, par la concision mais aussi par l’esprit même qu’ils ont choisi d’illustrer : celui du conte. Il s’est agi cette fois, pour Martin Crimp, d’effectuer une espèce de synthèse entre diverses sources littéraires, qui vont du Roman d’Alexandre (300 ans avant Jésus-Christ) à un conte du XIXe siècle connu sous le titre La Chemise de l’homme heureux en passant par le Commentaire du Dhammapada, recueil illustrant les pensées du Bouddha (fin du Ve siècle avant Jésus-Christ). Le texte de l’opéra (en anglais comme les trois précédents), ainsi, met en scène une femme qui a perdu son enfant ; elle apprend que ce dernier pourra revivre à condition que sa mère rencontre une personne heureuse et obtienne d’elle un bouton de la manche de son vêtement. La femme croise tour à tour un couple d’amants, un vieil artisan, une compositrice et son assistant, un collectionneur, jusqu’à ce que sa quête aboutisse dans un jardin où apparaît une certaine Zabelle…

Prendre soin des voix

George Benjamin fait partie de ces compositeurs qui tiennent à ménager les voix de manière à obtenir d’elles le meilleur et à ne pas leur demander d’affronter des intervalles inchantables. C’est l’une des raisons pour lesquelles il a attendu d’avoir dépassé la quarantaine avant d’aborder le genre de l’opéra, faute d’avoir rencontré auparavant un librettiste (!) ad hoc, faute aussi d’être en réelle empathie avec les chanteurs : « Quand j’avais vingt ou trente ans, j’avais une idée assez arrêtée et plutôt abstraite de ce que pouvait être l’interprète idéal pour ma musique. Mais quand j’ai écrit mon tout premier opéra [créé en 2006, NDLR], je devais avoir lu quelque part que Mozart écrivait toujours pour des artistes spécifiques, et c’est une approche qui m’a semblé naturelle. »

C’est ainsi que la prosodie et le traitement vocal de Picture a day like this (titre qu’on peut traduire par « Imagine un jour comme celui-ci ») sonnent avec un certain naturel et donnent sa fluidité à l’ouvrage. Chacun des interprètes, à défaut d’avoir été choisi par le compositeur, a eu l’occasion de parler avec ce dernier, de chanter devant lui, si bien que tous interprètent une partie taillée à leur mesure. C’est le cas en particulier de Marianne Crebassa (la Femme), dont on saluera aussi la prononciation de la langue anglaise et un engagement dramatique de chaque instant, quand bien même la musique de Benjamin ne se précipiterait que rarement dans la violence et les éclats. L’aria située entre la scène de la Compositrice et celle du Collectionneur est un moment d’introspection et de révolte d’une étrange intensité.

Timbres et accessoires

George Benjamin est par ailleurs un chef d’orchestre émérite. Il dirige sa propre musique avec précision et brio, avec le concours, ici, d’une vingtaine de musiciens de l’Orchestre philharmonique de Radio France au sein desquels les vents sont relativement nombreux. L’équilibre entre la fosse et le plateau est idéal, chacun des autres chanteurs (Beate Mordal, Cameron Shahbazi, John Brancy) interprétant deux rôles, sauf Anna Prohaska qui intervient dans le lumineux duo final avec Marianne Crebassa. À noter que les interprètes sont les mêmes qu’à Aix-en-Provence, sauf Beate Mordal, qui remplace Fatma Said.

Le spectacle imaginé par Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma est d’une efficace sobriété. La scénographie se compose essentiellement d’objets que trois comédiens viennent faire apparaître et disparaître (un lit pour les amants, un cube transparent pour l’artisan…), les costumes et les lumières, très soignées, suffisant à l’illusion. On ajoutera que le jardin prend place, peu à peu, à la faveur d’une vidéo assez magique. Rien à voir ici avec les sempiternels visages en gros plan ou les films envahissants. Le jardin apparaît par touches, et s’il n’est pas d’une beauté édénique, au moins s’intègre-t-il à la scénographie sans déconcentrer le spectateur.

Illustration : Beate Mordal (la Compositrice), Cameron Shahbazi (l’Assistant) et Marianne Crebassa (la Femme). Photo Stefan Brion

George Benjamin : Picture a day like this. Avec Marianne Crebassa (la Femme), Anna Prohaska (Zabelle), Beate Mordal (l’Amante, la Compositrice), Cameron Shahbazi (l’Amant, l’Assistant de la compositrice), John Brancy (l’Artisan, le Collectionneur), Matthieu Baquey, Lisa Grandmottet et Eulalie Rambaud (acteurs). Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma (mise en scène, scénographie et lumières), Marie La Rocca (costumes), Hicham Berrada (vidéo). Orchestre philharmonique de Radio France, dir. Sir George Benjamin. Opéra Comique, 27 octobre 2024. Représentations suivantes : 28, 30 et 31 octobre.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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