Premier enregistrement de Venus y Adonis de José de Nebra
Un éblouissant opéra baroque espagnol
L’ensemble Los Elementos convie avec ferveur les mélomanes à la découverte d’une œuvre du baroque espagnol signée d’un compositeur capital à son époque.
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- 22 janvier
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JOSE DE NÉBRA (1702-1768) REPRÉSENTE, avec Antonio Literes*, le compositeur essentiel de l’opéra espagnol et de la zarzuela dans la première moitié du XVIIIe siècle. Une vingtaine d’œuvres lyriques témoignent de son importance, mais aussi une centaine de pages religieuses et diverses pièces pour clavier. Il ne diffère pas vraiment des compositeurs espagnols de son temps, partagés entre art sacré et théâtre profane, avec une expérience puisée à la pratique instrumentale (l’orgue et le clavecin). Si ce n’est par son remarquable succès, qui le distingue en son époque et a laissé son nom traverser les siècles. Son style lyrique pourrait faire penser à un Haendel mâtiné de Pergolèse, avec quelques traits à la Rameau, pour prendre des références dans l’Europe lyrique du temps. Mais le tout s’inscrit sous une couleur ibérique bien affirmée, dans des emprunts aux tournures autochtones qui structurent en rappel, et au final irréductible.
Il en est ainsi de Venus y Adonis, mélodrame (melodramma) sur un sujet emprunté à la mythologie gréco-romaine, de règle à cette époque en Espagne comme dans d’autres contrées. L’œuvre s’apparente à un opéra puisque à l’encontre des zarzuelas (dont nombre de notre compositeur) elle ne comporte pas de dialogues parlés. Elle avait été créée en 1729 au Teatro del Principe de Madrid. Le livret revient à José de Cañizares, librettiste attitré de nombre d’œuvres lyriques espagnoles du temps, narrant les amours tumultueuses de la déesse Vénus pour le bel Adonis. L’œuvre avait par la suite été oubliée, comme tant d’autres baroques, jusqu’à nos jours. Sa résurrection date de 2018, par l’ensemble Los Músicos de su Altesa. Mais au disque, il s’agit de la première gravure mondiale, cette fois par un autre ensemble ibérique baroqueux, Los Elementos.
Bravoure, rêve, comique
Comme de règle dans le répertoire lyrique espagnol baroque, le chant revient à des chanteuses, y compris pour incarner les rôles masculins (l’Espagne des XVIIe et XVIIIe siècles se distingue absolument des préceptes de la morale italienne ou anglaise, qui à la même époque prohibait les femmes sur la scène pour des raisons religieuses et papales que la très catholique Espagne ignorait). Succèdent ainsi récitatifs, arias, trois duos et deux chœurs. À noter la spécificité multiple des récitatifs, à plusieurs voix et souvent avec chœur. Ce qui donne lieu à une grande variété stylistique, dans des airs et thèmes de bravoure, de rêve et même de comique (étant donné qu’aux quatre personnages sérieux s’adjoignent deux personnages comiques, suivant la coutume tragique piquée de comique du baroque espagnol). Le tout s’exprime dans une facture langoureuse, animée ou d’une virtuosité enlevée. Notons cependant que pour l’enregistrement il a été fait appel à une belle sinfonia, du même Nebra, en manière d’ouverture (absente de la partition qui est restée), structurée en cinq mouvements au rebours de la tradition italienne en trois mouvements.
L’ensemble Los Elementos, que dirige Alberto Miguélez Rouco, se déploie avec faste, à partir parfois de reconstitutions instrumentales en référence aux manières du compositeur, manquantes dans le manuscrit d’origine. Et les chanteuses, en solistes ou participant du chœur, s’épanchent avec densité. De cette distribution internationale, on relève la parfaite prononciation espagnole dans sa juste expression. La soprano Paola Valentina Molinari incarne Venus avec mordant, alors que la mezzo française Natalie Pérez présente le bel adolescent Adonis dans toute sa profondeur. Jone Martínez figure brillamment Marte (Mars), Margherita Maria Sala campe avec justesse Cibeles (Cybèle), et les deux rôles comiques de Celfa et Clarín reviennent avec engouement à Ana Vieira Leite et Judith Subirana. Un sans faute pourvu d’éclat !
Alberto Miguélez Rouco et son ensemble Los Elementos, à qui nous devions déjà deux autres œuvres lyriques de Nebra, les zarzuelas Vendado es Amor et Donde hay violencia, accomplissent ici une parfaite réussite, propre à séduire au mieux toute la gens mélomane éprise de raretés en forme de chefs-d’œuvre.
Coffret de deux compacts disques, Aparté AP373.
* Pour tout savoir sur l’art lyrique baroque espagnol, nous recommandons notre ouvrage, unique en son genre : La Zarzuela baroque (Bleu Nuit éditeur, collection de poche « Horizons »).