Tristan sans charisme

L’Opéra Bastille reprend la production de « Tristan et Isolde » de Wagner, signée Peter Sellars et Bill Viola.

Tristan sans charisme

Une fois n’est pas coutume, on a eu envie de revoir la production de Tristan et Isolde créée en 2005 à l’Opéra Bastille et reprise périodiquement depuis lors. Plusieurs raisons nous ont incité à cela. Primo, pour voir comment ce spectacle devenu pour certains « culte » a résisté à l’épreuve du temps. Secundo, pour apprécier la direction de Gustavo Dudamel, nommé en 2021 directeur musical de l’Opéra, à l’aune de cet opéra de Wagner créé en 1865, clef de voûte du répertoire lyrique. Tertio, pour la distribution entièrement renouvelée, avec de nombreux chanteurs qui font leurs premiers pas sur cette scène.

La production est signée conjointement par deux grandes pointures des scènes artistiques internationales, Peter Sellars pour la mise en scène et Bill Viola pour les vidéos (tous deux ont fait le déplacement à Paris pour la première de cette reprise, mardi 17 janvier). L’ensemble se veut un « objet artistique unique et total », à l’instar du projet musical de Wagner qui souhaitait une utopie poétique dans la fusion entre l’orchestre, les chanteurs et la mise en scène. Las, on déplore toujours le même contraste (voire la contradiction) entre la sobriété (pour ne pas dire l’indigence) de la direction des acteurs/chanteurs et la profusion des images de Bill Viola, suspendues tel un retable au-dessus du plateau.

Sous prétexte que « tout le drame est intériorisé », Peter Sellars maintient les interprètes dans des positions hiératiques, perdus dans un espace dépouillé à l’extrême, exclusivement architecturé par la lumière. En revanche, les images de Viola – souvent très belles – qui ont à voir pour la plupart avec l’eau sont animées, projetées au ralenti conformément au style du vidéaste. Le problème, c’est que ces évocations supposées symboliques de l’action sont en fait très réalistes, avec sur l’écran un couple-double de celui des chanteurs sur scène et que ce ballet aquatique attire l’œil irrésistiblement, phagocytant l’attention du spectateur qui perd de vue le plateau et se laisse distraire malgré lui par ces images.

Loin, très loin du réel

La faute en incombe sans doute aussi aux interprètes, qui souffrent d’un manque de charisme et ont du mal à tenir la distance de cet opéra au long cours (cinq heures quinze dont deux entractes). La meilleure preuve en est que, pendant les préludes instrumentaux qui précèdent chacun des trois actes, sans image ni chanteur, la direction de Gustavo Dudamel, qui dirige pour la première fois l’œuvre en intégralité en version scénique, capture l’attention, faisant entendre l’extraordinaire richesse de la partition, et nous emmenant loin, très loin du réel, dans cette magie de l’amour absolu conçu par Wagner. Mais dès que les images et les chanteurs entrent en jeu, les choses se gâtent et le soufflé retombe.

Manifestement, les deux interprètes principaux peinent à donner au drame l’intensité requise et à incarner l’enchantement transmis par le philtre d’amour. On ne voit pas d’autre raison au choix de Mary Elizabeth Williams pour le rôle d’Isolde que d’avoir été membre de l’Académie de l’Opéra. Si elle a pour elle la jeunesse et la puissance de projection, la soprano américaine, peut-être tétanisée par cette première, souffre d’une raideur dans la voix, d’un manque de souplesse, et les stridences se multiplient à mesure que le spectacle avance. Notamment le Liebestod final (littéralement « l’amour à mort ») qui ne parvient pas à décoller (contrairement au film où la femme s’envole bel et bien dans l’eau). Plus aguerri mais non moins raide, le ténor suédois Michael Weinius manque de séduction et campe un Tristan bien terne. Seul à soulever l’émotion, le baryton-basse Eric Owens joue un roi Marke acteur et victime d’une tragédie qui le submerge.

Pour les rôles secondaires, la distribution est plutôt de bonne tenue, qu’il s’agisse de la mezzo Okka von der Damerau en Brangäne (suivante d’Isolde), du ténor Neal Cooper en Melot (ami de Tristran), du baryton-basse Ryan Speedo Green en Kurwenal (écuyer de Tristan).

Photo : Elisa Haberer

Richard Wagner : Tristan et Isolde, jusqu’au 4 février à l’Opéra Bastille (www.operadeparis.fr).
Direction musicale : Gustavo Dudamel. Mise en scène : Peter Sellars. Création vidéo : Bill Viola. Costumes : Martin Pakledinaz. Lumières : James F. Ingalls. Chef des chœurs : Alessandro Di Stefano. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Avec Mary Elizabeth Williams, Michael Weinius, Okka von der Damerau, Ryan Speedo Green, Eric Owens, Neal Cooper, Maciej Kwaśnikowski,Tomasz Kumięga.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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