Toranda Moore de Pierre Giafferi

Le cinéma à la recherche d’un fantôme

Toranda Moore de Pierre Giafferi

Le spectacle Toranda Moore, raconte le concepteur Pierre Giafferi, est né suite à l’expérience du deuil d’un amour. Or, celui-ci verse volontiers à la fois dans l’univers du théâtre et celui du cinéma - acteur, metteur en scène et réalisateur, il se forme à l’Ecole Supérieure d’Etudes Cinématographiques et au Conservatoire National Supérieur d’Art dramatique.

Aujourd’hui, l’occasion est bonne de porter à la scène, comme à l’écran, les méandres d’un cheminement sentimental qui doit pouvoir toucher à sa fin. Et Pierre Giafferi, de s’appuyer sur la figure du fantôme, comme un support dramaturgique privilégié pour représenter la perte et le manque, ce qu’il appelle « la transcendance de la vie dans l’art et inversement ».

Aussi la figure du créateur - le réalisateur du film Toranda Moore - est-elle intégrée à l’histoire, une manière de mettre en jeu le pouvoir de l’art dans nos vies - convoquer absents et fantômes pour « toucher du doigt l’éternité », selon l’expression du cinéaste nommé Daredog, qui alimente ce projet fou d’inviter le fantôme de son amour mort dans sa création -« Ô rêve, quand tu nous tiens ! »

La pièce se déroule pendant la période de tournage du film de Daredog, réunissant ses acteurs dans un lieu abandonné - un squat - qu’il a investi le temps du tournage. Son prochain film Toranda Moore se tourne sur les lieux de son enfance en Bretagne, dans les Côtes-d’Armor.

Les acteurs et actrices vont vivre une expérience hors du commun où fiction et réalité se confondent étrangement. Condition sine qua non : ils doivent être possédés par leur rôle et « mettre leur coeur sur la table », de sorte que le fantôme puisse apparaître devant la caméra.

A mesure que le tournage avance - jour -1, jour J1, jour J2…-, en guise d’écran, un drap à vue devant le lit du réalisateur, tel un rideau coulissant sur un fil, la magie opère, et Hélène, l’amour de jeunesse de Daredog, surgit sous les traits de Toranda Moore, l’héroïne - un monde fantastique.

Le spectateur est invité sur les lieux mêmes du tournage, dans le repaire de Daredog - une figure typique de réalisateur de cinéma, lunettes noires, barbe, casquette, bermuda, le comédien Léon Cunha Da Costa est plus vrai que nature dans son allure négligée, vouée à un patient laisser-aller.

Comique, dérision et satire, le génie même de l’artiste est interrogé, comme mis sur la sellette : ce réalisateur est si créatif et avant-gardiste, suppose-t-on, qu’il n’écrit aucun scénario qui puisse être utile, et les acteurs sont filmés en vrac, tels quels, chacun à leur tour ou ensemble, vrais, réalistes et authentiques le plus possible, donnant tout d’eux-mêmes - façon cinéma de John Cassavetes.

Entre le film à l’écran et la scène de théâtre, les genres de films se succèdent : film d’horreur et de violence, film sentimental, film d’art et d’essai qui tend à pénétrer l’intériorité des personnages. On joue comme des enfants, on s’amuse comme des fous, traînant derrière soi le spectateur intrigué.

L’allure élégante d’Hélène Rencurel - à la fois, fantôme universel de qui on a aimé et perdu, et la bien-nommée Hélène, la Belle amante de Daredog sur le point de rompre avec celui-ci -, arpente le plateau, invisible pour ses partenaires de scène, mais bien visible au public, la joue brûlée et meurtrie, puisqu’elle a trouvé la mort dans l’incendie du cinéma qui se trouvait au-dessus du squat.

Elle est là, surgissant d’une porte, de derrière un lit, accompagnant le rêveur qui dort, ou bien les autres personnages égarés - une femme et deux hommes, qui sont amoureux fous de l’égérie.

Juliette Savary - rôle de paumée engagée au hasard de la rue par le réalisateur, étonnamment juste et précise de par l’expérience existentielle douloureuse qu’elle est censée afficher -, l’actrice attire le regard, jouant avec force la vie, l’amour et la souffrance - véracité, honnêteté et humilité.

Johann Cuny incarne l’acteur en devenir qui veut réussir, au théâtre certes qui a fait sa formation, mais au cinéma encore et dans les séries contemporaines, ne cessant de citer Pierre Niney. Il dessine une figure caricaturale de comédien stressé et nerveux qui ne se maîtrise aucunement - comique de geste et de répétition, le personnage moqué et ridiculisé est à côté de la plaque.

Quant à Baptiste Drouillac, on le dit : « celui qui crève l’écran », est un peu fou et engagé jusqu’au bout de lui-même voire au-delà, ce qui l’emporte sur des confins exacerbés où peu le suivent vraiment. Jeu excessif et outré, voici son apanage et sa marque de fabrique, approuvés par tous.

Chacun des interprètes a droit à un solo de complaisance, qui pourrait être un peu écourté parfois.
Un spectacle « total », pourrait-on dire, qui s’amuse des clichés et de la fascination du cinéma.
Une mise en scène inventive et facétieuse dont le rythme alerte mène le public par le bout du nez.

Toranda Moore , texte, mise en scène et scénographie de Pierre Giafferi, régie et création sonore de Baudouin Rencurel, La Compagnie Bataille. Avec Léon Cunha Da Costa, Johann Cuny, Baptiste Drouillac, Hélène Rencurel et Juliette Savary. Du 7 au 19 février 2022, du lundi au vendredi à 19h, et le samedi à 16h, aux Plateaux Sauvages - Fabrique artistique et culturelle de la Ville de Paris -, 5 rue des Plâtrières 75020 - Paris. Té : 01 83 75 55 70 lesplateauxsauvages.fr
Crédit photo : Pauline Le Goff

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Véronique Hotte

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