Marseille, le 11 juillet 2013

The Barrier versus Le Mulâtre de Jan Meyerowitz

Redécouverte d’un compositeur et d’une oeuvre d’indignation contre le racisme

The Barrier versus Le Mulâtre de Jan Meyerowitz

Dans le sud des Etats-Unis, un riche propriétaire blanc entretient une liaison avec sa gouvernante noire. Le plus jeune des enfants nés de cette union - considérée contre nature – refuse son statut de bâtard métissé et se révolte. Tel est le sujet de l’opéra que Jan Meyerowitz composa à peine arrivé dans cette terre promise qu’était pour lui l’Amérique au lendemain de la deuxième guerre mondiale

Meyerowitz ? Qui connaît encore aujourd’hui Jan Meyerowitz, compositeur juif allemand majeur de la première moitié du vingtième siècle, taxé par le régime nazi, comme tant d’autres, de « dégénéré » (entartet) ? Grâce au "Festival Musiques Interdites" de Marseille, on vient de redécouvrir l’une de ses œuvres phare, The Barrier, un opéra protestation contre le racisme, une œuvre clameur contre les ségrégations. Il en avait été l’une des nombreuses victimes, et, émigré en 1946, il y découvrait l’apartheid anti-noirs alors encore de rigueur dans les provinces du sud. Sa rencontre avec le poète dramaturge Langton Hughes donna naissance à sa deuxième œuvre lyrique.

Né à Breslau en Allemagne (den nos jours Wroclaw en Pologne) exilé en Belgique puis en France, interné au Camp des Milles, sauvé de justesse par le Réseau Varian Fry, il se réfugia aux Etats-Unis en 1946, y poursuivit sa carrière de compositeur et y fut rapidement reconnu. Mais contrairement à des confrères comme Kurt Weill ou Eric Korngold, poussés à l’exil par les mêmes diktats de l’Allemagne d’Hitler, sa renommée ne retraversa pas l’Atlantique avec la même vigueur. En France il fut quasiment oublié.

La VIIIème édition de "Musiques Interdites" à Marseille en ressuscite l’indignation dramatique et musicale. Un bien singulier festival, dédié depuis 2004 à la réhabilitation d’œuvres musicales ensevelies par les dictatures. Il devait, en ce mois de juillet, produire trois spectacles dans le cadre de « Marseille Provence Capitale 2013 ». A la suite de la « défection d’un financement escompté » (sic), 16 jours avant le jour J, la création en France de Die Kathrin, de Korngold a dû être annulée in extrémis. La création de l’opéra-ballet Equinoxe de Karol Beffa, compositeur d’aujourd’hui, a été maintenue en l’église Saint Cannat Les Prêcheurs, et, dans la cour intérieure du prestigieux bâtiment de la Préfecture des Bouches du Rhône, ce Barrier devenue Mulâtre bâti comme une tragédie grecque, a pu être joué en version de concert.

Norwood, veuf blanc d’une femme blanche qui ne lui a pas laissé d’enfants, nourrit pas mal de sentiments contradictoires avec Cora, sa gouvernante qui lui donna trois descendants de sang mêlé. Il en reconnaît la paternité, les envoie à l’école, mais reste intraitable sur la séparation raciale. Chacun à sa place. L’entrée de son hôtel particulier est réservée aux teints clairs, les autres doivent user de l’entrée de service. Bert, le plus jeune de ses enfants mulâtres a fait des études dans le nord. Il en revient avec des revendications d’égalité. Sa mère, sa sœur, son frère ne comprennent pas encore. Le père reste ancré dans ses convictions de race supérieure. Bert refuse d’obéir. Une dispute éclate. Norwood menace son fils avec un pistolet. Le gamin se défend violemment et tue son père sans le vouloir. Fuite. Retour. Suicide. Tout s’est passé en seul jour, en un seul lieu, un seul affrontement. Les trois unités de la tragédie classique sont respectées, comme chez Sophocle, comme chez Racine.

La trame du sujet vient d’une pièce de théâtre de Langton Hugues qui a ensuite rédigé le texte du livret. Des dialogues charpentés, sans fioritures, des phrases denses qui sous-tendent les sons charnus de la musique. Michel Pastore, directeur artistique du festival et le chef d’orchestre Johan Farjot ont réaménagé la partition et le livret. Durée légèrement réduite de la musique et introduction de textes et poèmes autour de l’intolérance et du racisme, signés Stéphane Hessel, Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Langston Hugues. Un récitant – le comédien Jacques Martial au lyrisme pudique – les dit en introduction et en guise de pause entre les actes..

Le Kwazulu-Natal Philharmonic Orchestra que dirige avec ardeur Johan Farjot vient de Durban en Afrique du Sud. Les cuivres et les vents rutilent les révoltes, les cordes gémissent la douleur. Les parties vocales ont des accents de gospels que Nobuumko Mngxekeza, soprano au timbre chaud dévide dans le rôle de Cora. Le baryton basse Nicolas Cavallier est Norwood, tantôt cassant comme un arbre sec, tantôt pétri de mélancolie. Le jeune Mandisinde Mbuyazwe, baryton tout de clarté, campe avec justesse et énergie l’adolescent rebelle qui transgresse les règles d’une société absurde jusqu’au point ultime de sa propre mort.

Une grande et belle histoire, des personnages attachants, une musique à la fois moderne et résolument tonale qui fait déferler colère, désespérances et mélancolie A quand un Barrier – versus Mulâtre, en version scénique ?


The Barrier versus Le Mulâtre de Jan Meyerowitz, livret de Langston Hugues, adaptation dramaturgique et musicale de Michel Pastore et Johan Farjot, Kwazulu-Natal Philharmonic Orchestra direction Johan Farjot, Avec Nobulumko Mngxekeza, Nicolas Callier, Mandisinde Mbuyazwe, Jacques Martial, Kelebogile Boikanyo, Aubrey Lodewyk
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A Marseille, cour intérieur de l’Hôtel de la Préfecture des Bouches du Rhône, le 11 juillet 2013

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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