Du 29 janvier au 7 février 2025 à La Criée de Marseille - Théâtre National

Taire, texte, mise en scène et scénographie de Tamara Al Saadi.

Savoir entendre les plus jeunes et les plus démunis.

Taire, texte, mise en scène et scénographie de Tamara Al Saadi.

Depuis septembre 2023, Tamara Al Saadi est en compagnonnage au Théâtre Joliette de Marseille, et depuis janvier 2024, artiste complice à La Criée, Théâtre National de Marseille.Taire est une réécriture contemporaine d’Antigone, le miroir scénique de deux ados prostrées d’hier et d’aujourd’hui face au chaos du monde.

Antigone appartient à un contexte mythologique, Eden évolue au présent, blessée par son parcours d’enfant placée par l’Aide Sociale à l’Enfance. L’auteure, metteuse en scène et scénographe Tamara Al Saadi articule les sciences sociales à ses créations théâtrales, s’arrêtant particulièrement sur la jeunesse actuelle, traversée par une anxiété croissante, confrontée aux périls géopolitiques et sociétaux du temps. Elle a mené des recherches auprès de l’ASE - entretiens, témoignages de familles d’accueil et d’éducateurs spécialisés.

A partir du latin infans, “celui qui ne parle pas”, la créatrice interroge le silence des enfants, des voix souvent confisquées par les adultes, : elle cherche à révéler l’innocence perdue grâce à la mise en regard d’une icône antique et d’une ado qu’on ne daigne pas voir, les deux partageant l’impuissance et la quête de sens.

L’une ne parle pas, réceptacle idéal des projections et réflexions du public, et l’autre, plus agressive, s’exprime souvent violemment face à l’absurdité d’une société qui ignore le mal-être des plus jeunes, plus fragiles et souvent méfiants, quant aux promesses de la vie, plutôt attirés par une mort supposée salvatrice.

Antigone de Sophocle critique le pouvoir autocratique des tyrans de jadis, des répliques de ceux des années 2025. Le système patriarcal est mis à la question, de même les rôles de genre. La fable mythologique est comme réactualisée et revivifiée par le tissage des deux histoires qui se répondent.

D’abord, une explication plausible de la haine irréversible entre deux frères : Etéocle, auquel a été donné Thèbes, et Polynice, le banni, répudié comme fils d’Oedipe et de Jocaste, frère de la loquace Isméne et de la silencieuse Antigone.

La scénographie respire amplement, dynamisée par l’écran vaste du lointain -un théâtre d’ombre aux silhouettes devinées lors des scènes successives et de la musique entêtante, entre airs actuels et chants traditionnels, tandis que sur le plateau nu s’élève une structure métallique d’où le tyran Créon - l’impétueuse et hargneuse Manon Combes - harangue la foule de discours absolutistes. Une échelle mobile se déplace selon les mouvements des personnages. Pour la fable antique, les voilà sur la coursive, en hauteur et, pour notre temps présent, plutôt sur le plateau de scène, les acteurs passant d’un rôle à l’autre, de l’Antiquité à nos jours incertains. Et une structure artisanale de lattes de parquet de bois, refuge nordique, s’ouvre sur des fenêtres, un prétexte aux frappements sonores.

Nommons les figures symboliques d’Antigone : Marie Tirmont joue Etéocle, réfléchi et convaincant. Ismaël Tifouche Nieto est un Polynice émouvant, à la parole libre et sincère. Mayya Sanbar incarne une Antigone digne et décidée. Clémentine Vignais interprète une Ismène active en vue du salut sororal. Ryan Larras se fait servante facétieuse, et Mohammed Louridi est un garde rêveur et comique, enchanté et habité par les rengaines en vogue. Tatiana Spivakova est l’étonnant devin Tirésias, plein de sagesse et de logique raisonnable.

Et pour la fable contemporaine, Chloé Monteiro endosse le rôle délicat d’Eden, boudeuse, querelleuse, taiseuse parfois, mais qui se bat et n’abandonne rien.

Avec bonheur, sont donnés à contempler les corps et à écouter les voix, dirigés en une ligne droite ou forme ronde d’où se détachent des êtres lumineux - une chorégraphie raffinée, un univers sonore intense -, avec la langue arabe mêlée à la française, les interprètes jouant au-delà des codes de genres ou d’origines.

Et en finir une fois pour toutes peut-être avec le fait de « se taire » et d’« obéir », rôle féminin assigné auquel ni Antigone ni Eden ne consent. La bruiteuse Eléonore Mallo accompagne les deux musiciens dont le chanteur, Bachar Mar-Khalifé, qui joue aussi le Coryphée, et Fabio Meschini, à la basse électrique. Les percussions résonnent des boîtes tapées, des parois frappées et du plateau scénique battu, diffusant tensions et apaisements - avions militaires assourdissants ou cris d’oiseaux maritimes : « Demain le sang/ Demain la guerre/ Demain le sacrifice/ Nous sommes les coeurs de Thèbes » (Chant I) -, un chant composé et traduit de l’arabe par Bachar Mar-Khalifé. « Dites moi où est l’amour/ Dites moi où est le mot/ Dites moi comment vivre/ Tout est silence/ Tout est silence… » (Chant IV) Des filets de fin sable rouge tombent des cintres,

Audacieuse version solaire d’un mythe poétique, réactualisé par l’apport d’une histoire contemporaine et de la musique, entre humour et émotion, légèreté ludique et gravité des destins, et prétendre à un futur prometteur.

Taire, texte à paraître aux Solitaires Intempestifs, mise en scène et scénographie de Tamara Al Saadi (co-production la Cie La Base & La Criée, Théâtre national de Marseille). Jeu Manon Combes, Ryan Larras, Mohammed Louridi, Chloé Monteiro, Mayya Sanbar, Ismaël Tifouche Nieto, Tatiana Spivakova, Ismaël Tifouche Nieto, Marie Tirmont, Clémentine Vignais. Musique et jeu Bachar Mar-Khalifé, Eléonore Mallo, Fabio Meschini. Assistanat à la mise en scène Joséphine Lévy, collaboration artistique Justine Bachelet, chorégraphie Sonia Al Khadir, création sonore et musicale Bachar Mar-Khalifé, Eléonore Mallo, Fabio Meschini, création lumière & scénographie Jennifer Montesantos, costumes Pétronille Salomé. Du 29 janvier au 7 février 2025 à La Criée - Théâtre National de Marseille. Tel : 04 91 54 70 54, www.theatre-lacriee.com Du 5 au 8 mars 2025, Théâtre de Nice, Centre dramatique national Nice-Côte d’Azur, en co-réalisation avec Anthea Antipolis Théâtre d’Antibes. Les 13 et 14 mars 2025, Châteauvallon-Liberté, Scène nationale de Toulon. Les 20 et 21 mars 2025, Espace 1789 de Saint-Ouen, Scène conventionnée. Du 26 mars au 6 avril 2025, Théâtre Gérard Philipe, Centre dramatique national de Saint-Denis. Du 1er au 5 octobre, Théâtre du Jeu de Paume, Aix-en-Provence.

Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage.

A propos de l'auteur
Véronique Hotte

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook