Critique – Opéra & Classique

Semiramide de Gioacchino Rossini

Quand les bonheurs du chant et de la musique font oublier les surcharges de la mise en scène et des décors

Semiramide de Gioacchino Rossini

On la voit peu cette Semiramide, ultime opéra seria d’un Rossini pas encore lancé dans le style buffa qui allait l’immortaliser avec ses pétulants Barbier de Séville et autre Italienne à Alger. C’est l’histoire d’une reine qui assassine son mari puis qui, vingt ans plus tard, épouse son fils, une histoire tirée d’une pièce un rien abracadabrantesque de Voltaire qui sans doute la maintient loin des plateaux… Toute la musique rossinienne s’y exprime déjà, frémissante, dansante et traversée d’émotion. Le bel canto s’y décline en panache continu.

Il faut trouver les voix pour en relever les défis. A Paris, le Théâtre des Champs Elysées s’y était aventuré il y a 11 ans en version scénique puis plus récemment, en 2014, en version de concert (voir WT 916 et 4384)

A Nancy, l’Opéra national de Lorraine les a dénichées avec un intéressant changement de registre. Le rôle d’Arsace, fils puis époux involontaire de Semiramide, reine de Babylone, a été conçu pour les graves d’une voix féminine de contralto. C’est le contre-ténor argentin Franco Fagioli qui ici se glisse dans la peau et les habits de l’enfant perdu et retrouvé, guerrier hardi, amant naïf et fils vengeur. Idole de la scène nancéenne depuis son triomphe dans Artaserse de Leonardo Vinci en 2012 (voir WT 3490), il a voulu apprivoiser sa tessiture légère dans ce personnage aux facettes multiples, éloigné des répertoires de musique ancienne dont il est l’un des porte-voix emblématique. Il y réussit avec une aisance de jeu en souplesse et juvénilité et une voix qui surprend par ses courbures et sinuosités, passant en jaillissement continu et volume serré des aigus aérés qu’on lui connaît à des graves inattendus. Salome Jicia, soprano géorgienne, porte le rôle-titre avec vaillance, poussant les coloratures rossiniennes à leurs extrêmes et jouant en monarque fantasque les barbaries du pouvoir.

Plaisir des voix toujours avec les basses Nahuel Di Pierro, en Assur prétendant échaudé virant à la folie d’un timbre caverneux et Fabrizio Beggi en Oroe, grand prêtre prédicateur et ombre du monarque assassiné aux sonorités nocturnes.

Les scènes rebondissent comme des balles de ping pong, les situations se succèdent, imbriquées les unes dans les autres, soutenues, commentées par les chœurs un peu hésitants au premier acte le soir de la première, puis trouvant peu à peu une stabilité épanouie. La mise en scène de Nicola Raab metteur en scène allemande joue sur le spectaculaire baroqueux qui malheureusement brouille les pistes.

Théâtre dans le théâtre, le plateau en duplex avec l’étalage de ses coulisses, de ses cordages, de ses rideaux, de ses projecteurs, les intentions au second degré s’enchaînent dans les décors tout comme dans les costumes - robes à crinoline, justaucorps brodés, chaussures à pointes et perruques en boucles enfarinées... Le prince Idreno apparaît déguisé en une sorte de Louis XIV nain. Matthew Grills y perd la face, mais heureusement conserve sa voix de jeune ténor. Semiramide/Jicia surgit en pourpoint noir au deuxième acte, Arsace/Fagioli peut pavaner dans un superbe costume à panier… Des paniers qui au cours des dernières scènes balancent à nu leurs structures autour des hanches du couple central…

L’amoncellement de signes autour de cette vision "baroqueuse" détourne le déroulé de l’action en superpositions d’intentions. Difficile alors d’en suivre la trame, par moments on s’y perd carrément.

Mais on se laisse bercer par le charme rossinien dont le chef vénézuélien Domingo Hindoyan distille les douces vivacités. Précision rythmique, animation ciblée des cors et des cordes, la musique danse sur pointes.

Semiramide de Gioacchino Rossini, livret Gaetano Rossi, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Domingo Hindoyan, chœurs de l’Opéra National de Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz-Métropole, directions Merion Powell et Nathalie Marmeuse, mise en scène Nicola Raab, décors Madeleine Boyd, costumes Julia Müer, lumières Bernd Purkrabek. Avec Salome Jicia, Franco Fagioli, Nahuel Di Pierro, Matthew Grills, Fabrizio Beggi, Inna Joskova, Ju In Yoon.

Nancy – Opéra national de Lorraine les 2, 4, 9, 11 mai à 20h. Le 7 mai à 15h
03 83 85 33 11 – www.oopera-national-lorraine.fr
Photos Opéra National de Lorraine

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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