Schumann dans les décombres de l’amour

"Sans Tambour" ou le théâtre chanté autrement.

Schumann dans les décombres de l'amour

Voilà dix ans que Samuel Achache nous régale de spectacles lyrico-drolatiques depuis son premier, Le Crocodile trompeur/Didon et Énée (2013). Cette fois, ce sont les lieder de Robert Schumann qui servent de fil musical avec sur scène une dizaine de comédiens-musiciens-chanteurs (certains étant tout cela à la fois, d’autres pas, certains un peu clowns, d’autres acrobates). Mais ce fil très romantique, intime, ténu et élastique, fait que la pièce ressemble à tout sauf à un concert classique, a fortiori à un opéra. D’ailleurs, la présence d’un accordéoniste à côté du violoncelliste, du clarinettiste et du saxophoniste indique bien que l’on sort du cadre conventionnel.

Si l’on pouvait résumer le sujet de la pièce, ce serait la destruction méthodique et physique d’un amour et de la maisonnette qui l’abrite sommairement sur scène. Et la tentative de renaissance qui fait suite à cet effondrement. Avec un enchaînement de saynètes qui ont l’air foutraques, mais qui sont en réalité très maîtrisées dans la mise en scène, ponctuées de gags visuels et/ou sonores qui se succèdent à bon rythme en désamorçant toute prétention au sérieux.

Si bien que le plateau des Bouffes du Nord, qui s’y prête à merveille, ressemble très vite à un champ de ruines avant d’être débarrassé pour faire place à la séquence suivante et ainsi de suite. Constamment surprenant, le spectacle, entre Jacques Tati et Groucho Marx, fait surgir la musique des décombres. Avec, entre autres perles, un piano (factice, Dieu merci) tombé du ciel et transformé en robe à panier par le chanteur qui se trouvait pile en dessous. Ou la soprano dont le costume fond sous la (vraie) douche sur la mezzanine.

Certes cela commence et se termine avec des lieder de Schumann, magnifiquement interprétés par la soprano Agathe Peyrat. Mais loin d’accompagner, encore moins d’illustrer, le propos, le chant devient collectif et vit sa vie propre, débute et s’arrête de manière totalement imprévisible (pour nous du moins). D’ailleurs, certaines parties sont purement instrumentales et, dans le feu de la destruction du couple et de la véhémence des dialogues parlés-chantés, on oublie Schumann pour penser plutôt au Wozzeck d’Alban Berg.

Couple pathologique

Le spectacle s’ouvre donc en fanfare sur les déchirements d’un couple pathologique dans une cuisine. Lui est un grand costaud, joué par l’inénarrable Lionel Dray, obnubilé par les choses matérielles, le siphon qui se bouche et la prochaine voiture. Elle, la fluette Sarah Le Picard, voudrait qu’on lui parle d’amour. Sur ces bases, il est très vite clair que le couple et tout ce qui l’entoure ne peut que voler en éclat. Une fois la séparation acquise, lui, inconsolable, se débat avec son cœur, « un vrai » cœur en forme d’éponge toute rouge qui bondit hors de sa poitrine fumante et lui échappe. De son côté, elle se reconstruit en Yseult dans l’évocation qui suit de la légende celtique exaltée par Wagner. Tableau qui donne lieu à quelques gags à base d’eau et de philtre magique.

Tristan, c’est Léo-Antonin Lutinier (un fidèle de Samuel Achache), présent sur scène de bout en bout, qui avec ses faux airs de Charlie Chaplin et sa belle voix de haute-contre donne une tonalité burlesque au spectacle. Il faut le voir et l’entendre se démener dans une clinique où on le conduit de force pour extraire le mal d’amour dont il souffre comme une dent. Où l’on voit qu’il est aussi douloureux de se débarrasser de l’amour que de vivre avec lui !

Photo Raynaud de Lage

Sans tambour de Samuel Achache, jusqu’au 5 mars au Théâtre des Bouffes du Nord, www.bouffesdunord.com
Mise en scène : Samuel Achache, direction musicale : Florent Hubert, costumes : Pauline Kieffer, lumières : César Godefroy. Avec Florent Hubert, Gulrim Choï, Sébastien Innocenti, Agathe Peyrat, Leo-Antonin Lutinier, Sarah le Picard, Lionel Dray, Antonin-Tri Hoang, Ève Risser.
Tournée : les 8 et 9 mars 2023 au Théâtre de Lorient, les 16 et 17 mars 2023 aux Théâtres de la Ville de Luxembourg ; les 28 et 29 mars 2023 au Grand R, La Roche-sur-Yon ; les 12 et 13 avril 2023 au Théâtre de Caen.

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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