Scènes de mariage

À défaut d’une mise en scène captivante, les nouvelles Nozze di Figaro de l’Opéra de Paris nous offrent de beaux moments d’orchestre et surtout de chant.

Scènes de mariage

IL EST PARFOIS INTÉRESSANT (MAIS RAREMENT convaincant) de comparer les déclarations d’intention d’un metteur en scène et ce que le spectateur est ensuite invité à voir. À l’occasion de cette nouvelle production des Nozze di Figaro donnée au Palais Garnier, Netia Jones (qui signe mise en scène, décors, costumes, vidéo) prétend dénoncer « la résistance au changement, et l’idée selon laquelle l’opéra ou le ballet devraient ignorer une prise de conscience grandissante des préjugés et des inégalités », tout en admirant l’opéra de Mozart et en particulier le personnage de Susanna, « intelligente, drôle, gentille, indépendante et tenace », et selon elle unique dans le répertoire : « On ne la retrouvera jamais plus. »

Précisément : s’il y a bien un genre qui, dès l’origine, s’interroge sur les rapports entre les êtres, l’équivoque amoureuse et le travestissement, c’est bien l’opéra, qui met en scène des situations bien plus complexes qu’on le dit habituellement, ne fût-ce que par la dialectique unissant ou opposant les mots et la musique. Exemple éclatant, les Nozze évoquent ces questions (et d’autres) d’une manière étourdissante. Comme le remarque benoîtement Gustavo Dudamel, « certaines problématiques majeures de notre époque se rencontrent dans Les Noces. » Aussi, quel besoin tout à coup de recouvrir le décor avec des dizaines d’affiches dénonçant le harcèlement sexuel ? Fâcheuse redondance ! Il est vrai hélas que plaquer les obsessions (et les préjugés !) d’aujourd’hui, surligner un livret, exiger d’un opéra qu’il affirme platement alors qu’il préfère chanter, est devenu monnaie courante et n’aide pas à mettre en scène, c’est-à-dire à faire jouer les acteurs-chanteurs, quand bien même ils seraient munis de téléphones portables (quelle trouvaille !).

Abyme tâtonnant

On se retrouve ici, durant les deux premiers actes, face à une scène divisée en trois parties, ce qui permet de ménager les allers-venues et les quiproquos du deuxième acte ; ce qui oblige aussi Netia Jones à meubler, quand elle ne sait pas quoi faire de telle ou telle partie de la scène. Des chanteuses muettes, ainsi, répètent leurs rôles dans le tiers de la scène côté jardin, avec un Basilio qui mime les gestes d’un pianiste à son clavier. Quelquefois, et on se demande bien pourquoi, le texte du livret est projeté sur la scène (mais la traduction est différente de celle des surtitres !). Mise en abyme, sans doute… Après l’entr’acte, la scène tout à coup est nue ; nous voici dans le dépôt des costumes de l’opéra, puis dans la loge des membres du chœur. De jeunes danseuses en tutu tout à coup apparaissent : sans doute s’agit-il encore d’une tentative de mise en abyme de l’opéra (nous parlons cette fois du théâtre, bâtiment et institution à la fois) où « les femmes n’ont pas eu leur place, ni sur scène, ni en dehors », car il reproduirait, toujours selon Netia Jones, « les hiérarchies patriarcales ». Mais le procédé est maladroitement utilisé, quand on pense à la manière dont Robert Carsen utilise toute la profondeur de la scène du Palais Garnier dans son Capriccio et renverse les perspectives (à défaut des hiérarchies) dans un éblouissant vertige.

À cette mise en scène qui ne sait pas trop où elle va, répond heureusement une direction musicale beaucoup mieux tenue. S’il est sans grande poésie dans le premier acte (le « Non so più » de Cherubino est accompagné avec indifférence), l’orchestre dirigé par Gustavo Dudamel se délie à partir du deuxième et devient graduellement plus vif, plus nerveux. Maria Bengtsson chante superbement son « Dove sono », la voix environnée de belles couleurs, et les dernières scènes, à partir du grand air de Susanna, sont enlevées avec un brio que n’annonçaient pas les premières.

Cherubino très fruité

Le reste de la distribution est très convaincant, chacun des interprètes usant de sa propre expérience pour donner une vie scénique à un spectacle, comme on l’a dit, assez relâché (et ce malgré quelques remplacements de dernière minute, inévitables en cette période de pandémie). Peter Mattei est un Comte d’une aisance parfaite et Luca Pisaroni un Figaro vocalement moins raide que bien des titulaires du rôle, lesquels souvent n’arrivent pas à se situer entre un Comte qui tend des pièges où il se prend lui-même, et une Susanna qui semble répondre à toutes les questions. Les deux voix se complètent à merveille, ce qui est un peu moins le cas du trio principal des femmes : Anna El-Khashem, dont le volume vocal est assez réduit, est parfois un peu perdue sur le plateau de Garnier, cependant que Lea Desandre est un Cherubino délicieux, fruité, à la voix plus légère que certains mezzos auxquels sont souvent confiés le rôle.

Kseniia est quant à elle une Barberina un peu plus qu’adolescente, Dorothea Röschmann une Marcellina de luxe, Marc Labonnette un Antonio moins ivre que souvent. Restent Bartolo (James Creswell), Basilio (Michael Colvin) et Don Curzio (Christophe Mortagne), peu différenciés scéniquement, qui parviennent toutefois à se caractériser par la voix. Si l’on oublie les fausses routes de la mise en scène, il est très possible de se contenter des noces bienheureuses de la partition et des voix. Ce qui après tout n’est par rien.

Illustration : Anna El-Kashem (Susanna) et Maria Bengtsson (la Comtesse). Photo : Vincent Pontet.

Mozart : Le nozze di Figaro. Maria Bengtsson (la Comtesse Almaviva), Anna El-Khashem (Susanna), Lea Desandre (Cherubino), Luca Pisaroni (Figaro), Peter Mattei (le Comte), Dorothea Röschmann (Marcellina), James Creswell (Bartolo), Michael Colvin (Basilio), Christophe Mortagne (Don Curzio), Kseniia Proshina (Barberina), Marc Labonnette (Antonio), Andrea Cueva Molnar et Ilanah Lobel-Torre (Due donne). Netia Jones, mise en scène, décors, costumes, vidéo. Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris, dir. Gustavo Dudamel. Palais Garnier, 21 janvier 2022. Prochaines représentations jusqu’au 18 février.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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