Critique – Opéra & Classique
Prima Donna
Nathalie Stutzmann entre l’ambre et le jade
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- 19 mars 2018
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Aux castrats à la mode de son époque, Vivaldi préférait les contraltos, ces voix de femmes aux graves ambrés. Des voix rares. Nathalie Stutzmann, la cinquantaine tout juste entamée, brune au teint de miel, en est l’une des plus précieuses dépositaires.
Elle chante et enchante dès les premières mesures distillées à chaud par son exceptionnelle tessiture. Et Vivaldi, bien évidemment, tient une place de roi dans son répertoire. Il occupe la quasi-totalité de son récital « Prima Donna », objet d’un bel enregistrement (Deutsche Grammophon 2011) et surtout de prestations sur scène qui hypnotisent le regard et l’écoute. Celle du mardi 13 mars au Corum de Montpellier magnétisa un public compact
Debout, à la tête d’Orfeo 55, l’ensemble de musique de chambre qu’elle créa en 2009, sa présence exhala une sorte d’animalité. Pas de baguette. Ses mains tracèrent les ondes que les musiciens de l’orchestre reportèrent sur leurs instruments, mais ses mains n’agissaient pas seules, son corps tout entier les accompagnait en une sorte de ballet intime dont la musique traçait la chorégraphie.
Son Vivaldi fut de douceur solaire, irradiant une sorte de bonheur de vivre. Elle le dirige en femme amoureuse, mêlant précision et souplesse, passion et mélancolie. Des concertos à cordes (RV 109, 156, 157) au concerto pour basson (RV 493), sa direction insuffle à chaque morceau des parcelles de sa vie. Elle laisse Rameau (La danse des sauvages) et Lully (la passacaille d’Armide) s’infiltrer parmi les Vivaldi et les dirige avec le même engagement physique et mental.
Le pupitre porteur des partitions virevolte avec elle : dos au public quand elle dirige, face à l’auditoire quand elle chante. Diction perlée et précision de géomètre, elle fait rebondir toute la palette des couleurs orchestrales tout comme celles de son chant. Sa virtuosité se fond en souplesse dans les pleins comme dans les déliés.
Entre l’ambre et le jade, entre les douceurs chamarrées et les résonances effilées, Nathalie Stutzmann impose un timbre unique où les graves naviguent entre calme et tempête, une voix dont elle l’une des très rares dépositaires.
Prima Donna – Nathalie Stuzmann et l’ensemble Orfeo 55 en concert le 13 mars 2018 au Corum de Montpellier