Parler en chantant, un livre de Maud Pouradier

Plutôt chanter que bavarder

Dans un essai assez diffus, "Parler en chantant", Maud Pouradier revient sur la définition de l’opéra : du chant ? de la musique ? du théâtre ?

Plutôt chanter que bavarder

UN OPÉRA EST UNE PIÈCE DE THÉÂTRE chantée, voilà qui est un fait attesté. Avec bien sûr toutes les nuances possibles et imaginables : une pièce entièrement chantée (c’est l’opéra stricto sensu), ou mêlant le chant et le dialogue (c’est l’opéra-comique, ou encore l’opérette, voire la comédie musicale). Il est bien sûr toujours possible de réfléchir à l’équilibre entre la voix parlée et la voix chantée, s’il y a lieu, à l’importance du livret face à la musique, au dosage entre airs et récitatifs, au choix fait par certains compositeurs d’abolir cette distinction, etc. Les essais, les traités, les opéras eux-mêmes (Capriccio de Richard Strauss) ont abondamment illustré ces thèmes qui constituent le fondement même du genre de l’opéra.

Dans un nouvel essai, Maud Pouradier revient sur ces questions à la faveur d’une « philosophie de l’opéra ». Elle repart de l’origine (la naissance du genre vers 1600, dans un hommage à la tragédie grecque), puis s’interroge, longuement, sur le fait que les personnages chantent, alors qu’il lui suffirait de partir de cette donnée simple et immédiate : l’opéra est une convention. Eh oui, à l’opéra, les personnages chantent : un opéra est une œuvre d’art et non pas un article de journal, une pièce de boulevard ou un traité de sociologie. Eh oui, il est tout aussi arbitraire de parler en chantant, pour reprendre le titre du livre, que de parler en alexandrins. Verdi est tout aussi étrange que Racine pour qui n’aime que la prose et le réalisme.

Alors, l’opéra, une œuvre fictionnelle (le mot revient des dizaines de fois) ? Oui, bien sûr, comme toute œuvre d’art, qui par définition propose une alternative à la réalité. Et on se demande bien pourquoi l’auteur de Parler en chantant consacre des pages très sérieuses à la distinction qu’il faut faire (ou ne pas faire) entre le chanteur et le personnage, alors que Diderot a déjà tout dit dans son Paradoxe sur le comédien. Le représentationnalisme (sic), l’acte promissif, l’énonciation hypotypotique et autres concepts ne font guère avancer la réflexion. Il faut attendre la page 259 pour apprendre qu’« Orfeo tire sa beauté et sa force émotionnelle non seulement de la musique monteverdienne, mais de l’expression de cet universel, qu’Orphée incarne en tant que personnage ». Soit.

Portes ouvertes

À force de truismes (« le véritable mélomane sait que ce n’est pas Carmen qui s’avance joyeusement et méchamment vers lui, mais la musique », « de même que le théâtre ne narre pas l’action, mais montre des personnages en train de la faire d’eux-mêmes par le moyen de paroles qu’ils échangent directement, sans la médiation d’un narrateur, de même l’opéra ne narre pas à travers la musique une action, mais montre des personnages agissant eux-mêmes et parlant en chantant »), Maud Pouradier pose des questions auxquelles il a déjà été répondu. « Feindre de parler ou feindre de parler en chantant ? » De toute façon, tout n’est que feinte, puisque tout n’est qu’artifice. L’opéra, « un art qu’on adore ou qu’on hait » ? Mais non, pas nécessairement : combien sont ceux qui vénèrent Verdi et détestent Wagner, qui adorent l’opéra baroque à la française et ne supportent pas Wozzeck ou Le Grand Macabre ! Le lyricophile-esthète (celui qui ne fait pas de différence entre un opéra et une fête) ennemi du lyricophile-mélomane ? Mais non, pour tout mélomane, une sonate ou une messe est aussi une fête. L’opéra différent du cinéma ? Oui, évidemment : un film unit pour toujours le personnage et l’acteur, l’opéra (comme le théâtre) distingue l’un de l’autre. Et s’il existe des lyricophiles amoureux de la voix de telle ou telle chanteuse, il y a aussi des passionnés de théâtre qui ne jurent que par Gérard Philipe, qu’ils ont vu et entendu autrefois, ou par Madame X ou Madame Y qui est la meilleure des Célimène d’aujourd’hui.

La question de la mise en abyme est elle aussi un faux problème. Oui, il arrive à l’opéra que des personnages tout à coup entonnent une chanson : il suffit de se laisser prendre au jeu pour percevoir qu’il y a tout à coup une ballade dans un tissu musical où, déjà, tout le monde chante. C’est le cas de la Chanson du saule (analysée en détail ici) dans l’Otello de Verdi. Pourquoi la mise en abyme serait-elle possible au théâtre et impossible à l’opéra ? Dans Benvenuto Cellini, le peuple réuni place Colonne devient le public d’un spectacle donné par Arlequin et Polichinelle : il écoute, manifeste ses émotions, applaudit, etc. Et l’effet est magiquement réussi.

On pourra lire ce livre pour réviser ses classiques, exercer son esprit critique, se refaire sa propre philosophie de l’opéra. Mais on lira avec plus de plaisir, par exemple, les écrits d’un Daniel Mesguich, qui, en une phrase, nous saisit d’un vertige qui tient autant de l’art que de la pensée. Par exemple : « Que serait un opéra dans lequel les personnages n’émettraient que des vocalises ? »

Maud Pouradier : Parler en chantant, une philosophie de l’opéra, Cerf, 2023, 362 p., 27 €. On notera que l’index est incomplet (il manque les entrées Berg, Berlioz, Ravel).

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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