Les Siècles en résidence au Théâtre des Champs-Élysées
Plus solaire que macabre
Après une escapade au cœur du répertoire germanique, en octobre dernier, Les Siècles font un bond de cent ans et se promènent en terre française.
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- 9 novembre
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ON NE DIRA JAMAIS ASSEZ COMBIEN les instruments historiques permettent de retrouver la saveur non pas d’une époque, ce serait anecdotique, mais d’une œuvre, d’une sensibilité, bien sûr d’une couleur orchestrale. C’est plus vrai, évidemment, pour la musique du XVIIe siècle, mais malgré tout : entendre Saint-Saëns et Ravel avec l’instrumentarium qu’ils ont connu, qu’ils ont utilisé, remet les choses à leur place. Sur le plan sonore, s’entend. Car la Danse macabre de Saint-Saëns, même avec une harpe très sonore, même avec sept contrebasses alignées au fond du plateau, même avec un premier violon râpeux, donc brillant dans ce contexte (excellent François-Marie Drieux), même avec un orchestre on ne peut plus vif, sous la baguette d’Ustina Dubitsky, reste la Danse macabre, sa fugue attendue et son épouvante aimable. Sans dresser la liste de toutes les pages inspirées du thème du sabbat, il suffit d’écouter L’Apprenti sorcier de Dukas, dans un registre un peu différent, pour savoir où se trouve l’invention diabolique.
Plus consistant, le Premier Concerto pour violoncelle du même Saint-Saëns permettait de retrouver Sol Gabetta avec son très beau Stradivarius de 1717 (qu’elle utilise alternativement, selon les répertoires, avec un Matteo Goffriller de 1730) : un son magnifique et intime à la fois, qui convient à cette musique sans débordement, pour laquelle l’orchestre se contente de quatre contrebasses installées côté jardin, cependant que le violon solo dirige ses collègues d’une chaise légèrement surélevée, quelques regards complices avec la violoncelliste (installée au centre, à la place du chef, mais dos à l’orchestre) suffisant à maintenir l’unité de l’ensemble. En bis, Sol Gabetta a la bonne idée de nous offrir une transcription pour violoncelle (et orchestre) de l’air célèbre de Dalila « Mon cœur s’ouvre à ta voix » : il est arrivé à Saint-Saëns de faire preuve d’une belle inspiration mélodique.
Daphnis sans les voix
En juillet dernier, dans le cadre du Festival de Radio France et Montpellier, Les Siècles avaient interprété la seule Deuxième Suite de Daphnis et Chloé avec le Chœur de Radio France. Cette fois, c’est le ballet intégral qui est à l’affiche, ce qui nous réjouit, mais sans les voix, alors que le chœur (sans paroles) apporte une couleur inédite à la partition éblouissante de Ravel. Certes, Mikko Franck, par exemple, en 2012 à la salle Pleyel, dirigeait Daphnis dans son intégralité avec le concours du seul Orchestre de Paris, mais ce n’est pas une raison ! Sans aller jusqu’à suivre l’exemple de Claudio Abbado faisant chanter (c’est-à-dire prononcer des « ah ! » lancinants) les musiciens du Jeune orchestre Gustav Mahler à Salzbourg, en 1998, dans la Marche funèbre pour la dernière scène d’Hamlet de Berlioz, n’aurait-il pas été possible de réunir ici quelques dizaines de voix à l’occasion de cette symphonie chorégraphique, comme la définissait Ravel lui-même, tour à tour soyeuse, insinuante, radieuse, déchaînée ?
Il reste que Les Siècles, sous la direction toujours contrôlée d’Ustina Dubitsky, donnent de cette vaste partition une interprétation articulée, rayonnante, d’un relief splendide, qui n’étouffe aucun pupitre, met en valeur le célesta autant que l’éoliphone. Les cuivres ont un éclat moiré saisissant, la flûte solo brille sans acidité, les violons I et II, installés face à face, dialoguent avec clarté, les contrebasses (qui ont retrouvé leur place en ligne, derrière l’orchestre) soutiennent l’ensemble comme l’humus d’une forêt ou le fond d’une caverne : il y a des illusions qui flamboient délicieusement.
Illustration : Daphnis et Chloé par François Gérard (dr)
Saint-Saëns : Danse macabre – Concerto pour violoncelle et orchestre n° 1. Ravel : Daphnis et Chloé, ballet intégral. Sol Gabetta, violoncelle ; Les Siècles, dir. Sol Gabetta, Ustina Dubitsky. Théâtre des Champs-Élysées, 8 novembre 2024.
Prochains rendez-vous avec Les Siècles au Théâtre des Champs-Élysées : du 4 au 12 décembre (Dialogues des carmélites, dir. Karina Canellakis), le 7 janvier (dir. Franck Ollu), du 22 mars au 6 avril (Werther, dir. Marc Leroy-Calatayud), le 30 mars (dir. Pierre Bleuse), sans oublier deux concerts scolaires (les 7 janvier et 21 mars) et un concert pour les familles (le 29 mars).