Paris-Le Tarmac de La Villette

Piste d’envol à la croisée du monde

Entretien avec Valérie Baran

Piste d'envol à la croisée du monde

Le Tarmac de La Villette présente actuellement Amour. Adapté du roman de Marie Vieux-Chevet par José Pliya, mis en scène par Vincent Goethals. Ce spectacle, dans la diversité de ses identités conceptrices (Haïti, Bénin, Guadeloupe, France) et le métissage de son vocabulaire, qui conjugue théâtre, danse, vidéo, est exemplaire des visées du Tarmac de La Villette, qui se veut aussi bien piste d’envol que lieu de brassage et territoire colonisé par tout un peuple d’artistes venus des quatre coins « de la planète francophonie » pour dire le monde au présent.
Haut lieu d’un art majuscule et métissé, seul théâtre permanent dédié à la francophonie, le Tarmac, dont Valérie Baran a pris les rênes en juillet 2005, subit les remous de restrictions budgétaires qui oblitèrent l’avenir de ce lieu unique et pluriel, ouvert à tous les vents de la création d’aujourd’hui.

En juillet 2005, Gabriel Garran quittait le TILF (Théâtre International de langue française) qu’il avait fondé en 1985. Prenant sa succession, vous rebaptisez le lieu Tarmac. Pourquoi ?

Sans rien renier de l’engagement international de son fondateur, le Tarmac forge son action sur un projet très précis : être le lieu où l’on parle d’aujourd’hui, où, comme dans la Grèce antique, les citoyens sont conviés à venir écouter le débat sur la société à travers le prisme du poète. Avant la beauté d’une langue partagée, ce sont les valeurs humanistes et démocratiques qu’elle véhicule que nous entendons promouvoir. Plutôt que de faire jouer Racine par des Togolais, ou Hugo par des Vietnamiens, nous choisissons de donner à entendre la parole d’artistes d’aujourd’hui qui nous interpellent sur la marche du monde, les problématiques de leur société, dont les maux sont parfois proches, voire issus des nôtres.
Il me semble plus que jamais nécessaire que le Tarmac soit la chambre d’échos de la pluralité du monde dans la diversité des disciplines artistiques en évitant à tout prix l’écueil du folklore et du communautarisme aussi bien sur scène que dans la salle. Il n’est pas question en effet de proposer des spectacles pour telle ou telle communauté, mais pour l’ensemble des membres qui composent la société. Le théâtre est une expérience commune, pas communautariste.

Ce petit village qu’est l’humanité

Que signifie votre méfiance vis-à- vis du folklore ?

Le folklore ne dit rien du présent, fige l’autre dans sa différence, et le préconçu de clichés le plus souvent méprisants ; or, ce qui nous occupe ici, au Tarmac, c’est tout ce qui peut exister dans la proximité avec l’autre et faire en sorte qu’à partir d’une programmation éclatée sur les cinq continents, les pensées se frottent les unes aux autres et fécondent l’art. L’idée première est d’être le lieu d’accueil et de circulation du monde. Il vient vers nous et nous allons vers lui. D’où le nom de Tarmac, qui se dit et résonne de manière identique dans toutes les langues. Par les spectacles que nous recevons et la circulation des œuvres que nous produisons, nous sommes en prise directe avec ce petit village qu’est l’humanité, ce qui affûte notre perception et nous commande d’aller à la rencontre de l’inconnu, de sortir des sentiers battus de manière à être un creuset de création ; c’est ainsi, par exemple, que Dieudonné Niangouna est venu plusieurs fois de Brazzaville jouer ici, avant d’être une des révélations du dernier festival d’Avignon.


Au carrefour du monde, le Tarmac est aussi en marge des habitudes théâtrales puisqu’il ouvre ses portes l’été. Pourquoi avoir choisi de jouer du 1er Février au 31 octobre ?

C’est totalement lié à notre situation géographique au sein du parc de La Villette, lui-même implanté dans un quartier populaire où dans son environnement cohabitent 170 nationalités différentes. L’évolution de la société parisienne, dont une partie s’est paupérisée et n’a plus les moyens de quitter Paris pendant les vacances, tandis qu’une autre, embourgeoisée, choisit de partir plus souvent pour des périodes plus courtes, fait du Parc de La Villette un des lieux les plus fréquentés pendant les périodes de vacances. Dans ce contexte, il était logique de repenser le temps de la programmation et de l’adapter aux besoins de la population. Nous avons eu raison puisque notre plus fort taux de fréquentation (95 à 100%) se situe au mois d’août.

Quelle place pour la francophonie ?


Depuis janvier, vous ajoutez à vos activités artistiques, une activité éditrice, avec le lancement d’une collection « Le Tarmac chez Lansman ». Pourquoi ?

Pour deux raisons. La première parce que notre comité de lecture reçoit énormément de textes, surtout d’Afrique, d’Europe et d’Amérique du nord. Certains sont magnifiques, mais nous ne sommes pas toujours en capacité de les monter.
La seconde, parce que, justement, nous sommes un lieu de création contemporaine, la plupart des textes joués ici n’ont jamais été lus ni entendus. Il nous a semblé opportun, avec Emile Lansman, de prolonger la parole du plateau par l’édition. C’est ainsi que nous avons lancé la collection avec deux ouvrages, « L’œil du cyclone » de Luis Marquès qui a été créé en 2005 et « A petites pierres » de Gustave Akakpo qui sera créé en octobre prochain. Nous souhaitons avoir les moyens d’en éditer quatre par an.


Mais vos projets ne sont-ils pas en péril avec un budget rogné de 9% ?

Même davantage, car si sur le papier, par le jeu de mécanismes financiers compliqués à expliquer, nous avons perdu 9%, dans la réalité des faits, c’est beaucoup plus puisque le coût de la vie, a, lui, augmenté de 2,5%. Une simple reconduction du budget aurait déjà été une réduction effective. Là, il s’agit d’un étranglement qui met en péril l’avenir de la création au Tarmac. Quelle place le gouvernement français qui nous subventionne entend-il donner à la Francophonie ? C’est la question qui se pose aujourd’hui.

Crédits : Eric Legrand

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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