Critique – Opéra & Classique

Parsifal de Richard Wagner

Un orchestre au zénith, des voix superbes, une mise en scène décalée

Parsifal de Richard Wagner

Ni opéra, ni oratorio, Parsifal, chef d’œuvre de l’inclassable, n’avait plus occupé la scène de l’Opéra de Paris depuis 2008 quand le trublion polonais Warlikowski en avait soutiré une sorte de chant mystique de la vie quotidienne (voir WT du 6 mars 2008).

Son retour était attendu avec une ferveur d’autant plus impatiente que ses premières représentations furent annulées à la suite d’un problème technique du plateau.
A l’arrivée enfin, depuis la fosse et la scène, un total bonheur musical baigna les oreilles. Sous la direction à la fois précise et poétique de Philippe Jordan, l’orchestre maison, semblait respirer au large, prenant son temps avant de s’envoler vers des ailleurs de songe et de méditation.

Tel père, tel fils ? L’inoubliable Armin Jordan, le père de Philippe, avait en 1982 collaboré à une étrange et fascinante réalisation filmée par Hans Jürgen Syberberg de cet ultime chef d’œuvre de Wagner, souvent considéré comme son œuvre testament. De fait, outre ce lien de parenté, le répertoire de l’homme de Bayreuth est depuis longtemps familier à la baguette du jeune Philippe. A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Paris comme à celles d’autres formations internationales il en dirigea les principaux titres, de Lohengrin à Tristan et Isolde, en passant par les Maîtres chanteurs de Nuremberg et quelques cycles complets de la Tétralogie du Ring.

Ici, pour ce Parsifal rayonnant, les bois, les cordes, les cuivres, les vents, tous les instruments ont répondu à l’unisson à ses battues aériennes. Wagner et sa musique planaient dans l’infini. Les voix des solistes se joignaient à eux avec cette même gravité céleste. En Gurnemanz manipulateur omniprésent, la basse autrichienne Günther Groissböck occupe le terrain en présence inquiétante et graves roulés de cuivre. Peter Mattei, baryton dont le Don Giovanni mis en scène par Michaël Haneke est devenu une référence incontournable (WT du 2 février 2006 et toutes ses reprises jusqu’en 2015) prend ici les habits et la détresse d’Amfortas auquel il prête l’agilité et les noirceurs de sa voix et une interprétation de vrai tragédien.

En culottes courtes, le Parsifal d’Andreas Schager a des allures de boy-scout naïf, mais sa candeur d’apparence est aussitôt démentie par une puissance vocale hors du commun, la largesse d’une tessiture capable de passer des aigus aériens de contre-ténor aux graves ambrés de baryton. Il chante pour la première fois sur le plateau de l’Opéra de Paris. Révélation. Face à lui, la soprano Anja Kampe, rôdée au répertoire wagnérien – sa Sieglinde reste un modèle - entraîne Kundry dans les méandres de ses humeurs, faisant passer les aigus de sa fascination béate pour Klingsor, aux graves des déchirements amoureux liés à son attirance pour Parsifal.

La mise en scène du britannique Richard Jones dans les décors très réalistes d’Ultz transpose l’univers immatériel de la quête mystique vers la réalité d’un monde conforme. Tour à tour cloître d’abbaye, salle de bibliothèque, cuisine, les espaces bien définis s’étirent en glissement de cour à jardin et inversement. En tête de leurs errances figurent les quatre lettres de WORT – le mot, en langue allemande. Ils s’étalent sur les couvertures de livres épais comme des dictionnaires que des personnages (les choristes) en jogging gris transportent d’un lieu à l’autre. Qui sont-ils ? Des promeneurs, des moines, des adhérents d’une secte ou tout cela à la fois ? Das Wort, le mot, bible du langage, du savoir palpite comme un cœur au centre de leur quête.

On est loin des recueillements abstraits traditionnels que Parsifal exalte mais le parti pris du metteur en scène ce concrétise avec une belle cohérence non seulement visuelle mais aussi psychologique. Sa direction d’acteurs pousse les interprètes aux démesures de leurs personnages.

A prendre au premier degré. Mais est-il compatible avec tous les autres degrés qui s’escaladent dans la complexité de ce chef d’œuvre unique en son genre ?

Parsifal musique et livret de Richard Wagner. Orchestre et Chœurs de l’Opéra National de Paris direction Philippe Jordan, mise en scène Richard Jones, décors & costumes Ultz, lumières Mimi Jordan Sherin, chorégraphie Lucy Burge

Opéra Bastille, les 16, 20 & 23 mai à 18h, le 13 mai à 14h
08 92 89 90 90 – www.operadeparis.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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